Viticulture – Défis d’avenir pour le Dézaley
Sur le balcon du Léman, la relève s’amorce tranquillement. L’envie et l’énergie de la nouvelle génération de vignerons ne manquent pas.
Au sein des 54 hectares de Dézaley Grand Cru, une dizaine de jeunes vignerons se sont posé la question de la valorisation du vignoble, à l’occasion d’une table ronde initiée par l’appellation.
Texte et photos Manon Hervé | Parmi eux, Arthur Duplan participe à la dynamisation du Dézaley de façon certaine : il a fait renaître le domaine de la Tour de Marsens. Originaire de Chardonne, Arthur a grandi entre les vignes et dans l’ambiance des vendanges à Lutry où son grand-père Henri Rouge (ndlr : numéro Lutry jeudi 22 juin) était vigneron. Après un apprentissage de laborantin en biologie à l’Uni à Lausanne et un stage de vigneron-caviste à Zurich, le jeune homme est sorti diplômé de Changins en 2020. L’idée l’a effleuré de partir vinifier à l’étranger mais le destin en a décidé autrement sous la forme d’une offre d’emploi parue pour la Tour de Marsens. N’ayant pas de domaine familial à reprendre, le jeune homme a décidé de relever le défi. Il s’est retrouvé au cœur de l’appellation Dézaley-Marsens, au sein du vignoble aux pentes vertigineuses. L’opportunité était belle et le potentiel énorme, il s’agissait alors de créer toute l’identité du domaine de zéro. En effet, la Tour de Marsens n’avait jamais été exploitée en son nom propre. Arthur a donc créé son entreprise : le domaine de la Tour de Marsens. Le jeune homme a tout réalisé tout seul, aussi bien à la vigne qu’à la cave. En résulte aujourd’hui une jolie gamme de trois vins, un Dézaley blanc et deux Epesses, un blanc et un rouge. Le rouge est vinifié dans la Tour de Marsens tandis qu’Arthur loue des locaux pour le blanc. Son premier objectif est de rapatrier la totalité de la production à la Tour avant d’envisager élargir la gamme. A long terme toutefois, il compte créer de nouvelles cuvées.
Arrivé comme « le petit nouveau qui débute », Arthur a trouvé au sein du Dézaley une belle fraternité entre vignerons. « Tout le monde a été assez solidaire, il y a une bonne dynamique en Lavaux ».
« Le Dézaley a déjà une bonne renommée,
il s’agit de l’assurer » Arthur Duplan
Arthur a dû créer lui-même sa clientèle de toutes pièces. Le bouche-à-oreille a fait son effet et il est parvenu à se faire connaître. Pour le jeune homme, renouveler la clientèle particulièrement traditionnelle du Dézaley est un immense défi. « Il faut faire venir les gens ici » assure-t-il. Qu’ils réalisent la complexité de l’endroit, qu’ils voient la pente, qu’ils comprennent les enjeux et les défis de la production de vin dans un tel paysage. La valorisation par l’éducation, tel est son motto. Dans ce but, le jeune vigneron multi casquettes se transforme de temps en temps en guide touristique de la Tour de Marsens. Il propose des visites suivies d’une dégustation afin de lier patrimoine culturel et
viticole. Une chance qu’il soit passionné d’histoire.
Chez Arc-en-Vins SA, à Puidoux, Bryan Tettoni, jeune entrepreneur engagé de 31 ans, est convaincu de l’intérêt de s’allier sous la même bannière pour soutenir le Dézaley.
Le neveu de Raymond et Nicole Chappuis se prépare à prendre la relève. Né à Chexbres, il a vécu en Suisse allemande avant de revenir à Lausanne en 2004.
Après des études à la Haute Ecole de Gestion à Yverdon, il a travaillé chez Nestlé à Vevey.
En 2018, son oncle Raymond l’appelle : « L’heure est venue de rentrer à la maison ». Bryan n’hésite pas une seule seconde, il quitte Nestlé pour rejoindre sa famille à Puidoux.
Depuis son plus jeune âge, il évolue dans le monde du vin : à 8 ans, sa tante lui cousait son premier tablier pour aller aider son oncle à la cave. Le retour au domaine familial a toujours fait partie de ses plans futurs. Pour Raymond Chappuis, qui a créé Arc-en-Vins de zéro en 1989, la vision d’avenir était claire : son fils Sébastien perpétuant la tradition à la vigne et à la cave, son neveu Bryan responsable administratif et commercial et en soutien à la cave. Si la vie en a décidé autrement en enlevant bien trop tôt Sébastien de l’équation, la famille Chappuis reste unie et déterminée. Bryan portera le chapeau de la succession pour eux deux. Après cinq ans de formation œnologique aux côtés de Raymond, Bryan est prêt à relever le défi. Le prochain challenge sera de trouver un responsable pour le secteur viticole des deux domaines de Lavaux et au Chablais.
Le Dézaley, Bryan le rêve à l’image de sa cuvée Clos des Embleyres : confidentielle et à valoriser. Il voudrait en faire un vin de niche dont tous les producteurs assurent ensemble la promotion. « Nous devons aussi nous adapter au changement de consommation, explique Bryan. Les gens consomment moins certes, mais mieux. Est-ce là le secret pour l’appellation ? » Les vins du Dézaley mériteraient-ils d’être vendus plus chers ? Peut-on vendre des chasselas premium à l’image des grands vins blancs de Bourgogne ? « Si les autres le font, pourquoi pas nous ? » demande Bryan. La question mérite au moins d’être posée.
Le jeune homme craint, à terme, que le marché pousse les vignerons à préférer la location d’appartements touristiques et vente de glaces à la production de vin. « On peut déjà apercevoir les premières vignes en friche en Dézaley. Il faut absolument éviter de suivre l’exemple des Cinque Terre ». Au sein de ce vignoble en terrasses italien, les producteurs ont abandonné leurs vignes pour louer des Bed & Breakfast aux touristes. Un business largement plus rentable que celui de la production de vin au sein d’un vignoble héroïque. Résultat, le patrimoine viticole s’est perdu dans cette région et rares sont les visiteurs qui quittent les bords de mer pour aller à la rencontre des quelques vignerons restants. Pour Bryan, c’est l’exemple même du scénario catastrophe. Et Lavaux, avec sa fréquentation touristique en constante
augmentation, n’est pas à l’abri de connaître le même sort.
« Le travail fourni en Dézaley doit être valorisé » Bryan Tettoni
Il semble que l’Etat ne soit pas le meilleur allié dans cette bataille. Les vignerons veulent attirer les clients à consommer le vin de Lavaux, pas seulement à admirer le paysage. Pour cela, ils ont besoin d’une marge de manœuvre juridique que l’Etat n’est pas toujours disposé à leur donner. La législation est trop stricte, les processus lourds pour mettre en place de nouveaux projets. Tel ce Wine truck imaginé pour aller à la rencontre des visiteurs afin de les sensibiliser au vignoble et leur expliquer le terroir à travers une dégustation, que Bryan ne pourra pas conduire faute d’autorisation de vendre de l’alcool de façon mobile. « Les initiatives de promotion modernes sont souvent tuées dans l’œuf », regrette le jeune homme. Parallèlement, la multitude des organismes de promotion existants en Lavaux (pas moins d’une dizaine) aurait tendance à desservir le but final. Comment mettre en place une stratégie de promotion efficace éparpillée entre autant d’entités ? En Lavaux, il semble que le plus gros défi réside en l’alignement de tous afin d’obtenir une force d’impact commune.

Chers lecteurs,

Je prends une dernière fois la plume pour vous dire au revoir. J’ai eu beaucoup de plaisir à faire cette chronique dédiée au vin dans Le Courrier depuis les vendanges dernières jusqu’à aujourd’hui, il est désormais temps de laisser la place au nouveau millésime. Merci à l’équipe du Courrier rencontrée l’an passé entre les vignes, à l’occasion de la Folle Semaine à Lutry : des rencontres que seul un apéro traditionnel arrosé de chasselas permet.
Merci à tous les jeunes vignerons de Lavaux qui ont participé à notre série sur la relève. A travers cette chronique, nous avons voulu donner une voix à ces audacieux néo-vignerons que j’imaginais craintifs et inquiets face aux immenses challenges que la viticulture rencontre de nos jours. Ils m’ont, à l’inverse, absolument tous montré une solide motivation et un enthousiasme sans faille. Le plus jeune d’entre eux, du haut de ses 17 ans, m’a résumé cela en des mots simples : « On ne serait pas là si on n’y croyait pas ». J’ai adoré écrire sur cette belle énergie qui s’est révélée être une véritable source d’inspiration. Aujourd’hui, c’est en partie grâce à eux que je quitte le vignoble de Lavaux et les belles formules pour aller mettre les mains dans les vignes et les cuves en Sicile. Je laisse derrière moi une relève plumistique du nom de Justine Brand, un fin esprit suisse qui partage mon amour des lettres et du vin de Lavaux. Elle sillonnera le vignoble à l’affût de l’actualité viticole dès le mois de septembre. Forcément, le Chasselas me manquera. Peut-être que le Nero d’Avola le remplacera ? Probablement pas. Alors quand la situation ne sera plus tenable, revenir il faudra !
Manon Hervé