Le major Davel : la réalité et le mythe
“Sa vie et son histoire” ont joué un grand rôle pour donner une seconde vie au personnage, par l’écrivain Juste Olivier dans son ouvrage “Canton de Vaud”

L’an prochain verra une série de commémorations du tricentenaire de l’exécution du major Davel (1670-1723). Un opéra créé pour l’occasion, sur une musique de Christian Favre, sera présenté à Lausanne. Plusieurs livres vont paraître. C’est l’occasion de s’interroger sur le personnage et sur sa tentative de libération du Pays de Vaud.
Les faits sont bien connus. Rappelons-les brièvement. Le 31 mars 1723, Jean Daniel Abraham Davel et ses 600 hommes marchent depuis Cully sur Lausanne. Dans le chef-lieu, il lit son Manifeste, très sévère envers les autorités bernoises, dont il dénonce la tyrannie. Le lendemain même, il est arrêté. Après avoir été soumis à la torture, à laquelle il résiste avec beaucoup de force de caractère, puis condamné à mort, il est décapité le 24 avril 1723. Son entreprise fut donc un échec total, qui pose
plusieurs questions.
D’abord, c’est une tentative solitaire et marquée par une certaine naïveté. Davel n’a ni contacts ni relais politiques. Sa troupe est armée mais n’a pas de munitions… Ensuite, il faut relever la lâcheté des notables lausannois qui le trahissent, le dénoncent à Berne. Et c’est un tribunal formé par ces élites vaudoises de la rue de Bourg qui prononce la sentence. Troisièmement, l’aventure est habitée par une profonde religiosité. Fils d’un pasteur, Davel est un mystique. Il aurait été inspiré par les prophéties d’une vendangeuse, un peu comme Jeanne d’Arc affirmait l’avoir été par la voix céleste de l’archange saint Michel. C’est la « Providence » qui a dirigé son action. On peut aussi se demander si le « plafond de verre » qui empêchait les officiers vaudois au service de Berne d’accéder aux hauts commandements a joué un rôle dans ses motivations. Surtout, et là est la cause principale de son échec, Davel venait trop tôt: le peuple vaudois n’était pas prêt à la rébellion, comme il le sera en 1798, mais avec le concours des armées françaises. Toujours est-il que le major fut presque oublié au 18e siècle.
C’est le siècle suivant, et notamment la révolution radicale de 1845, qui vont s’emparer de sa mémoire et en faire un mythe patriotique. L’écrivain Juste Olivier et son ouvrage Canton de Vaud. Sa vie et son histoire ont joué un grand rôle pour donner une seconde vie au personnage. Le major Davel devient alors un héros et une véritable icône de notre canton. De nombreuses manifestations et banquets célèbrent son action. Une statue en bronze de Davel (qui en réalité ne portait certainement pas de moustache…) est érigée en 1898 devant le Château de Lausanne, à l’occasion du centenaire de l’indépendance vaudoise. L’année suivante, un mémorial à Vidy marque l’emplacement de l’échafaud où il fut décapité. Le peintre Charles Clément lui consacrera dans les années 1930 un vitrail dans la cathédrale et deux fresques dans l’hôtel de ville de Lausanne. Le 20e siècle est celui de la réconciliation intercantonale : les Alémaniques, et même les Bernois vont voir en Davel l’exemple d’un homme qui a sacrifié sa vie pour la patrie. Quant à l’époque de la domination bernoise (1536-1798), longtemps honnie, elle est aujourd’hui considérée par les historiens avec plus d’objectivité, notamment sur le plan économique. Mais on n’en a pas fini avec les polémiques! L’une d’entre elles divise les partisans et les opposants à la réhabilitation judiciaire de Davel. D’autres veulent voir dans ce personnage le prédécesseur de tous les mouvements contestataires d’aujourd’hui… On voit donc qu’il n’a cessé d’être « réinventé » par les générations postérieures.
Pour en savoir plus, on consultera l’excellent numéro de septembre de Passé simple, mensuel romand d’histoire et d’archéologie, entièrement consacré au personnage du major Davel (1670-1723) et à son équipée révolutionnaire. La revue est disponible dans plusieurs librairies et kiosques, ou par abonnement annuel :
abo@passesimple.ch, tél. 079 433 44 89.