Viticulture – La relève à Rivaz
Nouvelle série
La tendance est générale dans le vignoble suisse : la succession vient à manquer. L’impact est pour l’instant moindre en Lavaux où plusieurs jeunes vignerons se lancent à la suite de leurs aînés.
Texte et photos Manon Hervé | En mars, dans les vignes, la taille marque la fin d’un cycle et l’ouverture d’un nouveau. Dans les caves de Lavaux, les familles vigneronnes se régénèrent de la même manière cyclique. A Rivaz, au pied de la prestigieuse appellation Dézaley Grand Cru, de jeunes vignerons prennent peu à peu le relais.
Transmission d’un patrimoine millénial

Maxine Chappuis a grandi dans les vignes. Plus jeune, elle faisait des petits travaux viticoles par-ci par-là au domaine de son père, François Chappuis. Si aucun de ses trois frères n’a tracé sa route dans le vin, elle s’y est décidée après une année de stage passée au domaine de la Ville de Lausanne. CFC et diplôme de l’Ecole de Changins en poche, la jeune vigneronne se forme depuis auprès de différentes caves afin d’avoir de l’expérience. Son objectif à terme étant de reprendre les vignes familiales, à l’heure de la retraite paternelle. En attendant, elle songe à se former à l’étranger afin de pouvoir s’inspirer et tenter d’appliquer une fois de retour au bercail.

Cette initiation à l’étranger, Basile Monachon en a bénéficié pendant plusieurs années. Après un diplôme à Changins et un passage au Domaine de Marcelin, le jeune vigneron découvre les horizons viticoles d’Argentine, de France, de Nouvelle-Zélande ou encore d’Allemagne, avant de revenir poser ses valises à Rivaz en 2014 pour une reprise du Domaine Monachon l’année suivante. Ce sont ses étés passés à la vigne qui lui ont mis le pied à l’étrier dans le vin. Aujourd’hui, Basile Monachon, président des vignerons de Lavaux, est particulièrement impliqué dans le patrimoine viticole.

Non loin de là, au domaine Chaudet, Titouan Briaux a un parcours un peu différent. Si le domaine appartient depuis toujours à sa famille, ses parents, dentiste et gynécologue, ne sont pas vraiment du métier. C’est lui qui a décidé de se réapproprier le domaine. Après un an de formation aux Grisons, chez Manfred Meier et un CFC de caviste chez Obrist à Vevey, Titouan termine son parcours universitaire à la Haute Ecole de Gestion de Fribourg, convaincu de l’importance fondamentale de la commercialisation dans le monde du vin. Depuis 2019, il se dédie à 100% à son domaine, seul avec du monde autour: le jeune homme est entouré de ses parents, d’une foule d’amis qui font vivre le lieu, d’un vigneron-tâcheron, et d’autres extras pour les événements ou les livraisons. Petit à petit, son objectif est de reprendre le contrôle sur la totalité du processus afin de réintégrer le domaine dans son patrimoine viticole.
Des jeunes passionnés et motivés
Au domaine Chaudet, l’innovation passe par la vision que son propriétaire a du vin. A travers ses événements plus ou moins déjantés, Titouan prône une image accessible et un chasselas moins élitiste. Il est devenu roi de l’événementiel à Rivaz un peu par hasard, c’est avant tout le côté fun de l’affaire qui l’a motivé. Un festival de musique et une fan zone pour l’Euro plus tard, il a pu mesurer le potentiel financier pour le domaine et son image. Avec plusieurs événements par an et la possibilité de privatiser le lieu, le Domaine Chaudet s’est placé en tête des vignobles qui font vivre Rivaz et attire une clientèle nouvelle en Lavaux.
De son côté, Maxine vise plutôt un changement du mode de production. Elle voudrait réduire la pénibilité du travail en aménageant des parcelles mécanisables là où c’est possible, réévaluer l’encépagement, ou encore se faire plaisir avec la création d’une cuvée prestige. Quant au sujet du bio, elle admet qu’il est compliqué en Dézaley mais s’avoue sensible à la question. La prise de conscience environnementale a fait partie de sa formation à Changins et elle travaille actuellement sur un secteur de vignes en bio à Villette, où le challenge est le bienvenu. Basile le reconnaît: le bio est un des plus grands défis à venir et il n’est pas forcément pris en compte par les vignerons de Lavaux car extrêmement compliqué à appliquer dans un vignoble en terrasses. Lui-même n’est pas labellisé mais tend vers la culture bio et favorise la biodiversité dans ses vignes. Quant à lui, c’est avec sa gamme de rouges qu’il se distingue, grâce à une diversification des cépages déjà mise en place par son père avant lui avec le Merlot et une volonté de rallonger la durée d’élevage de ses cuvées pour les rendre plus premium encore.
Fédérer pour survivre
S’il y a un jeu auquel cette nouvelle génération de vignerons semble jouer mieux que ses prédécesseurs, c’est celui de la solidarité. La politique du chacun pour soi, doublée d’une concurrence rieuse entre encaveurs, n’est plus possible. Conscients de cela, les néo-vignerons sont plus enclins à échanger et partager entre eux pour s’entraider.
Selon Titouan, il y a plus de synergies qu’avant, plus de transparence aussi. « D’un côté, on est tous concurrents, mais, en même temps, tu ne peux pas exister sans que les autres marchent bien » affirme-t-il. Parce que pour faire vivre une appellation, que ce soit Dézaley, Lavaux ou le vin suisse au sens large, il faut que tout le monde vende afin de faire connaître le produit.
Pour Basile, se serrer les coudes est devenu essentiel face à l’indéniable perte de renommée du vignoble en terrasses. Le travail de revalorisation de Lavaux en général, et de l’appellation Dézaley en particulier, est immense.
Confiants en l’avenir, nos trois jeunes vignerons sont convaincus que le vignoble saura s’adapter. Le paysage va probablement se moderniser, il y aura sans doute moins de vignerons, c’est déjà le cas, mais on continuera à produire du chasselas, et du bon. La relève est assurée.