Pourquoi d’importantes exploitations forestières hors saison de coupes
Didier Getaz, Garde forestier | Les promeneurs parcourant les sentiers forestiers de la région l’auront sans nul doute remarqué, d’importantes coupes de bois ont été réalisées ou sont en cours alors que la saison de coupe ne commence en plaine que le 1er septembre. En cause d’importants foyers de bostryches typographes d’une ampleur et d’une virulence inouïes. Ce petit scolyte d’environ 5mm est un ravageur capable d’infliger d’importants dégâts dans les peuplements d’épicéas.
Plusieurs générations de scolytes
Normalement capable à nos altitudes d’engendrer deux générations sur la période allant du printemps au début de l’automne, les conditions météo de l’hiver dernier et de cet été lui étant particulièrement favorables, elles lui permettront sans doute de pouvoir engendrer une troisième génération avant la fin de l’automne, il faut donc s’attendre à ce que de nouvelles coupes forcées soient entreprises dans les semaines à venir.
Une météo favorable aux scolytes
En plus des conditions météo de cette année, l’évolution climatique et la succession d’épisodes de fortes chaleurs ainsi que le manque d’eau de ces dernières années a également fortement affaibli les arbres. En pleine vitalité, un épicéa peut lutter contre une faible attaque de bostryches en les noyant dans la sève, a contrario un arbre affaibli ayant subi un stress hydrique durant une succession de saisons n’arrive plus à lutter et quelques insectes suffisent à donner rapidement naissance à d’importants foyers pouvant s’étendre à plusieurs centaines, voire pour les foyers les plus virulents et sans intervention des bûcherons, à plusieurs milliers de mètres cubes de bois infesté nécessitant des exploitations couvrant de grandes surfaces telles que nous le constatons cet été.
Moyens de lutte
Hormis le traitement à titre préventif (avant infestation par les scolytes) des piles de bois mises à port de camion et pour autant qu’elles ne soient pas en zone de protection des eaux ou à proximité d’un cours d’eau les traitements sont interdits en forêts. Le seul moyen de lutte contre les scolytes reste donc la coupe des bois infestés afin d’endiguer les pullulations. Les coupes forcées comme nous les appelons dans le milieu forestier sont par ailleurs une obligation légale, tout propriétaire forestier est tenu par la législation de lutter contre les ravageurs.
Perte de valeur du bois
En plus d’avoir un fort impact sur l’aspect paysager de nos forêts ces exploitations forcées sont loin d’être rentable économiquement et représentent souvent des pertes financières parfois importantes pour les propriétaires forestiers. D’une part, même si les qualités physiques du bois ne sont nullement détériorées à la suite des infestations du scolyte, ce dernier est vecteur d’un champignon qui donne une coloration bleutée au bois dévaluant sa valeur jusqu’à plus de 50% par rapport à une bille de bois n’ayant pas subi d’attaque de bostryches. En 2023, ce sont plusieurs centaines de mètres cubes de bois qui ont dû être transformées en plaquettes pour chauffage faute d’acheteur. La situation sur le marché des bois étant compliquée, nous redoutons que cette situation ne se répète en 2024.
Des années de labeur perdues
Sans compter la perte économique, c’est également des années de travail investies dans les soins et l’entretien de ces peuplements, souvent réparties sur plusieurs générations de propriétaires et de forestiers qui sont perdues. Ces interventions sont, par conséquent, loin d’être plaisante pour les forestiers. Il serait parfois bon que les personnes pensant le contraire se mettent à la place des forestiers et s’imaginent avoir pris soin d’un peuplement pendant des dizaines d’années, parfois même depuis la plantation des arbres, pour le voir finalement disparaitre en quelques jours sans pouvoir en valoriser le bois à sa juste valeur.
Situation géographique
Au niveau régional, ce sont principalement les massifs d’épicéas situés sur les communes de Vulliens, Vucherens, Montpreveyres, Servion, Oron, Jorat-Mézières et Corcelles-le-Jorat qui sont touchés. En 2024, le volume de bois issus de coupes forcées sur le Groupement forestier Broye-Jorat se compte déjà en milliers de mètres cubes, certaines coupes ordinaires qui étaient planifiées pour l’hiver 2024/2025 ne se feront pas afin de ne pas dépasser les possibilités de coupe. Pour rappel la législation forestière suisse ne permet pas de couper un volume de bois supérieur à ce que la forêt produit.
Et après
Des plantations avec des essences plus adaptées à l’évolution du climat seront entreprises aux endroits où des coupes forcées importantes ont été réalisées ce qui sera par exemple le cas dans le bois du Chaney à Oron ou dans les forêts de Vulliens. Toutes ces plantations ne pourront pas être réalisées durant l’automne 2024. Pour des raisons de logistique et de fourniture des plants qui doivent être produits en pépinière, certaines coupes ne pourront pas être replantée avant l’automne 2025.
Choc visuel
Il est tout à fait compréhensible que l’ampleur de certaines interventions puisse choquer, les forestiers eux-mêmes ne sont pas indifférent face à cette situation. Il faut néanmoins garder à l’esprit que ces interventions visent à empêcher la propagation des scolytes et que si elles n’étaient pas réalisées nous pourrions voir des massifs entiers dépérir tels que cela a par exemple été le cas en Allemagne. Outre la perte financière pour les propriétaires, ces forêts deviendraient également dangereuses pour le public en raison du risque de chutes d’arbres ou de parties d’arbres morts et pourraient mener à la mise à banc de certains massifs forestier, ce qui a déjà été le cas en Suisse alémanique et en France à la suite du dépérissement du frêne. Il est par conséquent triste de voir et, fort heureusement en de rares occasions, l’agressivité de certains vis-à-vis des bûcherons qui ne font que leur travail et à qui il tient à cœur d’entretenir les forêts.
Evolution du paysage forestier et sécurité en forêts
Il n’y a malheureusement pas que l’épicéa qui est à la peine face à l’évolution climatique, de nombreuses autres essences souffrent de la répétition des épisodes de forte chaleur et du manque d’eau, de nouvelles maladies font également leur apparition. Le paysage forestier va rapidement évoluer, certaines essences peu adaptées aux conditions climatiques vont peu à peu disparaître et laisseront leurs places à d’autres plus résilientes. Ces conditions mènent inévitablement à une augmentation des arbres dépérissant, augmentant par conséquent le risque d’accident. La forêt étant un milieu naturel, il n’est pas possible de tout y sécuriser, nous constatons, par exemple, que malheureusement malgré la fermeture temporaire de certains sentiers pédestres pour des raisons de sécurité, ils continuent d’être emprunté. Lors d’activités en forêts, il est important de ne plus seulement regarder où l’on met les pieds mais également de lever le nez.
Un coup de fil c’est si facile
Les gardes forestiers du Groupement forestier Broye-Jorat répondront volontiers à vos questions concernant les interventions en cours ou à venir et pourront également conseiller les propriétaires forestiers non seulement sur les mesures à prendre en cas d’infestations de bostryche et sur les aides financières y relatives, mais également sur la gestion de leurs forêts en général afin de préserver et conserver leur patrimoine forestier.
Triage 54 – Haute Broye
Didier Gétaz – 079 213 27 46
Triage 55 – Jorat
Marc Rod – 079 638 05 21
Triage 57 – Moudon
Mathurin Pidoux
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