Le Domaine des Faverges signe la fin de l’ère Vallélian
Après plus de deux décennies de collaboration, Gérald Vallélian, vigneron-caviste, quittera ses fonctions fin octobre 2025. Des divergences entre le canton de Fribourg, propriétaire du domaine et le mandataire en sont la cause.

dans l’élaboration de la nouvelle stratégie © Thomas Cramatte
Si des rumeurs circulaient en Lavaux ces derniers temps, rien ne laissait présager un départ si rapide. Du moins, jusqu’à l’invitation pour la pressée à l’ancienne du samedi 14 septembre. A la dernière ligne, on peut lire : « … et c’est la dernière pressée à l’ancienne des Vallélian aux Faverges ». Alors pourquoi le Domaine des Faverges se sépare-t-il de son vigneron ? Nous avons récolté les explications des deux parties.
Une dernière vinification
Le millésime 2025 sera le dernier supervisé par Gérald Vallélian. C’est lui-même qui a demandé qu’une convention de départ soit rédigée et signée pour quitter ses fonctions au 31 octobre de l’année prochaine. Selon Didier Castella, conseiller d’Etat fribourgeois en charge de la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts (DIAF), la décision de se séparer du mandataire actuel a été prise d’un commun accord : « Cette décision s’est prise d’un commun accord. Le contrat avec Gérald Vallélian devait être renouvelé en 2026, mais avec la rénovation des lieux, nous devons introduire un nouveau modèle d’affaires et adapter le cahier des charges en conséquence. Il s’agit donc d’une décision stratégique. »
Le projet de rénovation, entamé en juin 2023 avec un crédit d’environ 20 millions de francs, vise à redynamiser cette bâtisse historique datant de 1138. L’objectif est d’accroître l’attractivité du site en renforçant l’accueil des visiteurs. Des réceptions, séminaires et activités œnotouristiques sont prévus, ainsi que l’ouverture d’un nouveau local de vente. Pour la DIAF, cela nécessite une refonte de la gestion du domaine.
Une tradition remise en question
Depuis près de 500 ans, les moines des Faverges demandaient aux vignerons du village de cultiver une partie de leur vigne, tout en s’occupant de leurs propres parcelles. Ce modèle a perduré jusqu’aux années 1960, où deux vignerons de Saint-Saphorin ont pris en charge presque entièrement ce vignoble du canton de Fribourg. Aujourd’hui, pour Gérald Vallélian, cette collaboration est mise à mal par la DIAF, qui impose une gestion centralisée et uniforme pour tous ses domaines, et ce, peu importe la région :
« Nous devons justifier notre travail à des personnes qui ne connaissent pas les spécificités de Lavaux. On tente de nous faire entrer dans un moule dirigé par une usine à gaz administrative ».
Pour illustrer ses propos, le vigneron-caviste rembobine : « Chaque mois de mars, il est essentiel de remplacer certains plants de vigne, mais la DIAF évoque des restrictions budgétaires. Nous avons dû rappeler que pour avoir du vin, il faut du raisin. Depuis un an, nous devons justifier chaque action auprès de personnes qui ne connaissent pas les spécificités du vignoble », déplore Gérald Vallélian.
Un avenir incertain
Pour la famille Vallélian, ce départ représente un grand bouleversement. Gérald et son fils Fabien, qui travaille avec lui depuis 2017, imaginaient un avenir différent pour le domaine : « Nous ne pensions pas que cela se terminerait ainsi », confie le vigneron. Résidant également sur le domaine, ils devront déménager, un choc non seulement pour eux et leurs familles, mais aussi pour la région, où le lien entre la famille et le domaine était perçu comme une continuité évidente. Avant les Vallélian, la famille Regamey avait en effet géré le domaine pendant un siècle. Fabien, formé comme vigneron et ayant travaillé dans plusieurs domaines, semblait être le successeur idéal, mais Fribourg n’a pas été de cet avis : « Le profil et le statut du futur vigneron-encaveur doivent être définis. Il est important de pouvoir partir d’une page blanche pour trouver le profil le plus adapté. La remise automatique du contrat de vignolage de père en fils n’était donc pas envisageable dans ce contexte en pleine évolution », explique le service de Didier Castella.
La conversion à la culture biologique, menée par Gérald Vallélian, est l’une des réussites du domaine de 15,4 hectares. Cette approche devrait être pérennisée : « Il est clair que la production de vins biologiques perdurera. Il s’agira toutefois de réévaluer l’assortiment en fonction de la nouvelle stratégie », confie le conseiller d’Etat fribourgeois.
Le profil du successeur de Gérald Vallélian reste à définir. Le poste sera mis au concours d’ici la fin de l’année 2024, et la personne sélectionnée participera à la mise en œuvre du nouveau projet. Le futur vigneron-caviste devra relever le défi de maintenir l’héritage tout en intégrant les nouvelles orientations stratégiques de l’administration fribourgeoise. En attendant, la fin de cette collaboration marque une rupture pour la région. Reste à voir si les réformes prévues seront à la hauteur des attentes, tant pour la qualité des vins que pour l’attachement à ce patrimoine.
Texte et photo Thomas Cramatte – thomas@le-courrier.ch