La petite histoire des mots
Sparadrap

Georges Pop | Le président français Emmanuel Macron a beau avoir été réélu avec une confortable avance, dimanche dernier, les qualificatifs d’arrogant, de suffisant, voire de méprisant, rabâchés sans répit par ses adversaires de tous bords, continuent à lui coller à la peau « comme un sparadrap », pour reprendre l’expression de nombreux éditorialistes de la presse hexagonale. Au sens figuré, cette formule veut dire que le locataire de l’Elysée n’arrive pas, en dépit des dénégations de ses proches et de ses récents bains de foule, à se défaire de cette encombrante réputation, comme l’obstiné sparadrap entré dans l’histoire en 1956, après la parution de L’Affaire Tournesol, dix-huitième album des aventures de Tintin. Dans ce récit, qui se déroule notamment en Suisse, le personnage du capitaine Haddock, exaspéré, se bat désespérément contre un sparadrap qui se colle successivement sur son nez, sur le pouce de sa main gauche, le pouce de sa main droite, avant de finir sur sa casquette. Dans cet album, Hergé fait voyager le petit sparadrap dans pas moins de dix-sept cases, collé aux basques du brave capitaine qui n’arrive pas à s’en défaire.
C’est ainsi que l’expression « comme le sparadrap du capitaine Haddock » est entrée dans le langage courant pour désigner une personne où une chose dont on a du mal à se débarrasser. La formule s’est progressivement simplifiée pour devenir « comme un sparadrap ».
Contrairement à ce que pourraient penser nombre de nos contemporains, le « sparadrap », ce petit tissu adhésif à usage médical, n’est pas le nom d’une marque récente ou un terme moderne inventé dans le secteur pharmaceutique, mais le dérivé d’un vénérable mot du XIVe siècle. En vieux français, le mot « speradrapu », dérivé du latin médiéval « sparadrapum » désignait un drap sur lequel on avait étendu un onguent pour couvrir et soigner une blessure. « Speradrapu », associait le mot « drap », issu du latin « drappus » (morceau d’étoffe), et le verbe « esparer » qui voulait dire « préparer », terme dérivé du latin « spargere » qui signifie « répandre ».
L’ancêtre de notre sparadrap contemporain n’était en réalité rien d’autre qu’un bout de drap sur lequel avait été appliqué un baume pour le préparer à servir de pansement. Le mot « sparadrap » a pris sa graphie moderne, sans doute au XIXe siècle, dans le langage de la chirurgie. Notons que le sparadrap, tel que nous le connaissons, a été inventé en 1920 par Earle Dickson, un employé de la firme pharmaceutique américaine Johnson & Johnson. Ce premier pansement stérile autoadhésif, bon marché et facile d’utilisation s’appelait « plastic strip ». De nos jours, les laboratoires travaillent sur la création de sparadraps « intelligents » capables de désinfecter les blessures et d’accélérer la cicatrisation des plaies chroniques.
Pour conclure sur une note humoristique, en revenant dans l’univers de la bande dessinée, méditons sur cette pensée profonde du dessinateur et auteur belge Philippe Geluck, créateur de la série à succès Le Chat : « Chez BIC, ils fabriquent des stylos à bille, mais aussi du correcteur. C’est un peu comme si un fabriquant d’armes produisait aussi du sparadrap ».