La chronique de Denis Pittet : Le Musée et les timbres
La Suisse, Vaud, Lausanne et le CIO, etc. (1/3)
Le dimanche 5 décembre 1993, à 19h18, la ville de Lausanne devient officiellement Capitale olympique. Une petite vingtaine de personnes – dont le soussigné – sont réunies dans un petit salon de la Villa Mon-Repos. Juan Antonio Samaranch (JAS pour la suite), qui aimait bien décerner des diplômes, remet donc en mains propres à la syndique d’alors, Yvette Jaggi, un document qui autorise avec effet immédiat à la Ville à porter haut et clair un titre conçu comme assez étrange sur le moment. Personne ce soir-là ne saisit réellement la portée du geste. Si, un, JAS justement, qui sait pertinemment la valeur immense du cadeau et qui a anticipé ce qui se passera par la suite, en tout cas jusqu’à cette année 2024 qui s’annonce une année-clé. Nous y reviendrons.
A peine débarqué à Lausanne après son élection comme président du CIO en 1980 (Moscou), Samaranch a une idée fixe. On serait parfois étonné de ce qui motive les gens. Peu le savent mais Samaranch collectionne les timbres depuis des années. On dit que sa collection est riche et immense. Alors tout simplement, JAS décide de construire un Musée autour de ses albums… JAS, évidemment, a fait beaucoup d’autres choses (!) mais le Musée est pour lui une obsession. En 1982, un Musée provisoire est ouvert à Ruchonnet, mais commence alors le long chemin semé d’embûches pour la construction du bâtiment d’Ouchy. C’est qu’il s’agit de convaincre dans une situation compliquée: en 1988 les Lausannois, emmenés par Daniel Brélaz, disent «non» aux JO d’hiver. Evidemment, ça fait chenit dans le décor, mais ni JAS ni le CIO ne bronchent. Le «non» sonnera le début d’une antipathie profonde des Alpes vaudoises envers Lausanne. On parlera d’égoïsme citadin exercé contre une région qui avait besoin des JO pour se relancer économiquement. Les Alpes vaudoises attendront jusqu’en 2020 et les Jeux olympiques de la Jeunesse (JOJ) pour combler ce retard.
En 1989, la majorité politique passe à gauche à Lausanne. Yvette Jaggi devient syndique et affiche une façade de complaisance pour le CIO. Ce dernier, par exemple, demande la création d’un petit parking souterrain sous le Musée. On parlait de 50 ou 70 places. Ce sera Niet sous le vil prétexte que les quais d’Ouchy seraient bouchés par la circulation induite… Or, chaque Lausannois le sait: à l’époque, dès les premiers rayons de soleil, les quais sont bloqués, sur la route et sur les trottoirs, car c’est une tradition de descendre au bord du lac.
On n’est pas à une vexation près. Le 23 juin 1993, le Musée est inauguré. C’est sans doute un des plus beaux jours de sa vie pour JAS. Et savez-vous quoi? C’est cette seule joie qui conduit à la petite cérémonie du 5 décembre suivant et de la désignation de Lausanne comme Capitale olympique. L’Amour tant chanté entre JAS et Lausanne est à son apogée. Il ne pourra dès lors que décliner. (à suivre).