Bourg-en-Lavaux – Quand le jazz est bientôt là
Cully Jazz Festival 2023, 40e édition

Grégoire de Rham | Fête populaire bien que d’une facture certaine, rassemblement transgénérationnel à l’esprit bon enfant, le Cully Jazz allie, chaque printemps et depuis des années, grands noms et petites pépites sur les trois scènes du festival (Chapiteau, Temple et Next Step), sans compter les nombreuses petites scènes du festival OFF. Cette année ne faillira pas, à la tradition et la ferveur et l’émotion n’en seront que deux fois plus grandes puisqu’il s’agira non moins que de la 40e édition du festival, né dans les années 80 sous l’impulsion d’Emmanuel Gétaz et de Daniel Thentz.
Si le programme complet des plus de cent concerts du festival ne sera connu qu’en janvier (pour le festival IN), puis février (pour le festival OFF), on sait que quatre noms, et non des moindres, seront présents au rendez-vous d’avril. Petit tour d’horizon de ces quatre têtes d’affiche particulièrement hétéroclites.
16 avril au Chapiteau : Barbara Hendricks et son Blues Band
Les artistes musicaux reconnus dans un style, et qui osent se frotter à de nouvelles expériences sont encore bien trop rares. Quel risque en effet, de se lancer tête baissée dans un nouveau registre. Cat Stevens s’est bien lancé dans la musique religieuse ou Paul McCartney dans les œuvres symphoniques ou dans l’électro-expérimental, mais avouons que ces quelques incursions n’ont pas marqué les esprits. C’est pourtant le pari qu’a pris Barbara Hendricks depuis une trentaine d’années. En effet, ayant acquis ses lettres de noblesse en tant que chanteuse lyrique sur les plus grandes scènes et sous les prestigieuses directions de Leonard Bernstein ou de Daniel Barenboim, notamment, l’artiste américaine naturalisée suédoise a pris le pari de mettre cap sur le jazz, le blues et le gospel pour un résultat tout à fait étonnant. Appliquant sa grande tessiture vocale à des classiques du genre comme Down in Mississippi, Amazing Grace ou Oh, Freedom, elle offre une performance déroutante toute en vibrati, où se mêlent tout le swing du gospel et toute la puissance du registre classique.
18 avril au Chapiteau : Double plateau d’Afrique de l’Ouest
1re partie : Trio 368 degrés. Le folk rock a eu Crosby, Stills, Nash and Young, le hip-hop a eu Child Rebel Soldier, la musique mandingue a désormais également son supergroupe. Le Trio 368 degrés est, de fait, constitué de trois monstres de la musique ouest-africaine. Au piano, le Malien Cheick Tidiane Seck, ancien membre du Super Rail Band de Bamako en compagnie de Mory Kanté et Salif Keita, ayant également joué sur les tournées de Jimmy Cliff ou de Carlos Santana. A la batterie, l’Ivoirien Paco Séry. Percussionniste virtuose, co-fondateur du groupe Sixun, il a accompagné des artistes aussi variés que Nina Simone, Manu Dibango, Claude Nougaro et Bobby McFerrin. Enfin, à la basse, le Sénégalais Alune Wade, « petit jeune » du groupe, qui a, lui aussi collaboré avec les plus grands, notamment Marcus Miller avec qui il sort en 2015 l’album Afrodeezia. Alliant des instruments occidentaux avec des harmonies qui sortent du carcan européo-américain, le tout mâtiné d’une excellente capacité d’improvisation, le trio nous emporte dans un univers envoûtant, chaleureux et rythmé qui amène sous nos latitudes un peu du soleil d’Afrique de l’Ouest.
2e partie : Sona Jobarteh. Il est des univers masculins dont l’exclusivité est parfois difficile à briser. L’odyssée du rock en est une preuve, qui a laissé bien des femmes sur le carreau. Les quelques Kim Deal, Moe Tucker et autres Joan Jett sont des arbres qui cachent une immense forêt. Et loin de ces considérations du monde occidental, d’autres ségrégations moins connues perdurent tout autant. C’est le cas de la kora, instrument à cordes d’Afrique de l’Ouest, longtemps considéré comme un instrument masculin. Après des années d’hégémonie masculine, Sona Jobarteh est la première joueuse de kora professionnelle. Et c’est avec brio et dextérité qu’elle réinvente la pratique de cet instrument. En témoigne, Gambia, son titre le plus connu, qui mêle allégrement le son tout à la fois dansant et apaisant de la kora avec une pop pas du tout déplaisante.
20 avril au Next Step : Summer Pearl
Dernier nom à sortir, et plus jeune des artistes ici nommés, Summer Pearl est récemment arrivée sur la scène internationale puisque son premier E.P. n’est sorti qu’en 2019. Elle aussi adepte du mélange des genres, elle propose un hip-hop teinté de jazz, de soul et de dub. Dans des influences tant jamaïcaines qu’américaines, la jeune chanteuse sort du rap traditionnel à travers des titres sombres et mélodiques. Un jeune talent à découvrir y compris pour ceux qui émettent des réserves à l’égard du hip-hop.