Bourg-en-Lavaux – Embarquez avec la police
La sécurité est un élément crucial du Cully Jazz Festival. Pour bien comprendre comment fonctionne le dispositif sécuritaire autour et à l’intérieur de la manifestation, nous avons suivi les forces de l’ordre durant toute une soirée. Reportage.
C’est le même rituel chaque soir. Les responsables du dispositif sécuritaire se retrouvent au Poste de commandement. A 20h30, la caserne des pompiers, Les Fortunades, à Cully prend des allures de quartier général. Au sommet des escaliers à côté des halles où sont stationnés les véhicules des hommes du feu, deux salles sont transformées durant les neuf jours de la manifestation. Radios, ordinateurs, plans des zones du festival aux murs, tables et écran télévisé de grande taille. Des séances ont lieu quotidiennement, l’occasion de faire le point de la veille et de la soirée à venir.
« Je tiens à rappeler que nous devons faire preuve de proportionnalité pour ne pas faire dégénérer une situation », annonce le premier lieutenant Stéphane Ducret, chef d’engagement de cette opération depuis onze éditions. « La présence de Police Lavaux, c’est avant tout de la prévention. Patrouiller en binôme, c’est suffisant. Car il faut être visible, sans trop se faire voir ». Pour cet ancien de Police secours à Lausanne, la manifestation dédiée au jazz du chef-lieu est saine et ne nécessite pas une quelconque agressivité. Néanmoins, le dispositif sécuritaire est important. « Nous ne nous prononcerons pas sur le nombre d’hommes en civils, mais nous pouvons vous dire qu’une trentaine d’agents en uniformes (tous services confondus) sont présents ce soir », précise le premier lieutenant après la séance.
Gestion des risques
Pour garantir la sécurité des festivaliers, six entités se côtoient : Police Lavaux, Police des transports, la gendarmerie, une sécurité du festival privée, l’entreprise Securitas et le SDIS Cœur de Lavaux. Dans l’évaluation des risques, la météo joue un rôle important. « La municipalité est responsable de la sécurité, les partenaires des feux bleus sont des prestataires et facturent leurs services à la commune. Ce ne sont pas eux qui endossent les responsabilités. En cas de conditions météorologiques extrêmes par exemple, c’est la Municipalité qui prend la décision d’évacuer le festival », détaille Jean-Paul Demierre, municipal en charge de la sécurité à Bourg-en-Lavaux. Le nombre de festivaliers varie en fonction de la météo, puisque ce sont près de 15’000 visiteurs qui se retrouvent à Cully lorsque la température est clémente. Pour ce jeudi 20 avril, le thermomètre ne dépassera pas sept degrés : « L’affluence est estimée entre 3000 et 4000 personnes. Messieurs, excellente soirée à vous », annonce le municipal en fin de briefing.
« La municipalité est responsable de la sécurité,
les partenaires des feux bleus sont des prestataires
et facturent leurs services à la commune »Jean-Paul Demierre,
Municipal à Bourg-en-Lavaux
En ce qui concerne les délits, ce sont environ dix dépôts de plaintes par édition (dommages à la propriété, vols, voies de fait). Selon Stéphane Ducret, ce taux très faible s’explique par l’atmo-sphère bon-enfant de la manifestation : « Nous n’avons pas de groupes venant uniquement pour semer la zizanie. Pour nous, le stationnement des véhicules privés dans un périmètre bien particulier constitue la principale difficulté ». En deuxième position des complexités : la gare de Cully. Un lieu de rassemblement qui comporte plusieurs dangers : « Les quais ne sont pas adaptés pour accueillir autant de monde d’un coup. Un mouvement de foule pourrait faire tomber des gens sur les rails, sans compter les risques de bagarres. Pour cette raison, nous avons l’appui de la Police des transports ».
Visibilité policière
La nuit a remplacé le jour lorsque nous quittons le poste de commandement. Henri* et Pierre*, tous deux agents à Police Lavaux, franchissent le passage sous voies les menant à la gare : « Il s’agit de discuter avec nos collègues de la police des transports », indique Henri en marchant d’un pas décidé. « Nous retrouvons plusieurs uniformes, mais nous tirons tous à la même corde », ajoute son binôme. Sur les quais flambants neufs, rien à signaler, du moins, pas pour le moment. Direction la foule du festival off. C’est Pierre qui emboîte le pas : « Ici, tout se fait à pied. Pas besoin de véhicules d’interventions. Si plusieurs voitures sont prêtes à agir, nous sommes plus rapides à la force des mollets ».
Sur place, les deux agents s’imprègnent des lieux : « Un simple coup d’œil permet de réaliser que cette manifestation est pacifique. Le bruit dans les rues n’est pas très important », constate Henri. Les deux agents observent attentivement les environs : « Je ne vois personne ici qui ne va pas bien dormir sans provoquer une bagarre ». En traversant la foule s’amassant entre les bars et les salles de concerts, des odeurs de cannabis interpellent les deux agents : « Etant donné le nombre de policiers en présence, il ne s’agit pas d’une priorité absolue s’agissant de personnes majeures, mais nous devons ménager la chèvre et le chou, prioriser notre action et éviter de provoquer une émeute », lance Pierre en se retournant en direction des émanations.
Action policière
Retour au poste de commandement. Ici, le café et son odeur permettent de se réchauffer et de se familiariser avec les lieux. « Allons reprendre la température », lance Samuel Pasche, chef détachement. Si le premier lieutenant coordonne les diverses instances de sécurité à distance, Samuel Pasche gère les troupes sur le terrain. Et plus les heures avancent, plus la présence policière devient physique : « Un homme est en train d’uriner dans la rue en insultant les passants », annonce une voix déformée par le haut-parleur de la radio de Samuel. Les agents interceptent l’homme en état d’ivresse : « Bonsoir, monsieur, c’est la police, papiers d’identité s’il vous plaît ». Après une discussion d’une dizaine de minutes, l’homme retrouvera son calme et recevra une amende pour avoir confondu la rue Davel avec des WC publics. « Uriner dans la rue, c’est 200 francs. Cracher, moitié moins. En matière de verbalisation, nous travaillons comme tous les agents, au cas par cas. Il est clair que ce délit n’a pas la même ampleur si quelqu’un urine derrière un arbre ».
« Ils ont été oppositionnels, mais jamais insultants. Tant qu’il n’y a
pas de plainte, nous n’avons aucune raison de les garder », Samuel Pasche,
Chef de détachement
Après cette intervention sans gravité, la patrouille poursuit sa mission première : être au contact de la population. Discutant avec les serveurs des bars et leurs consommateurs, l’approche des policiers se veut avant tout sociale : « Pour moi, nous devons aimer les gens pour faire ce métier. L’uniforme est une simple tenue d’ambassadeur », partage Samuel Pasche.
Un peu avant deux heures du matin, la patrouille pédestre se dirige vers la sortie du Next Step. Cette salle où, après les concerts, les festivaliers peuvent venir danser jusqu’à deux heures du matin : « Les gens peuvent tous sortir et cela constitue un important mouvement de foule », détaille Anthony. 1h45, Samuel reçoit un téléphone : « Une bagarre a éclaté et un homme est blessé ». Les deux agents courent en direction de la gare.
Festivaliers en opposition
L’arcade ensanglantée et le visage en sang témoignent de l’altercation. Déjà pris en charge par une autre patrouille et ses amis, plus de peur que de mal pour ce festivalier visiblement aviné. « Ils sont trois hommes et sont partis vers la gare », lance un collègue de Samuel. La coordination des instances policières a fait son effet, puisque la police des transports encercle déjà les bagarreurs : « C’est bon, qu’est-ce qu’on a fait ? », questionne l’un d’eux. « Vous devez être plus au courant que moi », rétorque Samuel. « On est trois et vous êtes huit. On n’est pas des terroristes non plus », lance un autre bagarreur. Après avoir calmé les ardeurs et après avoir noté les identités des trois festivaliers, Samuel les libère : « Ils ont été oppositionnels, mais jamais insultants. Tant qu’il n’y a pas de plainte, nous n’avons aucune raison de les garder ».
Les deux agents de Police Lavaux rejoignent leurs collègues restés aux côtés du blessé. Une ambulance arrive à 2h34 et les rues de Cully sont à présent désertes : « Une soirée un peu plus animée que les précédentes, mais qui reste bien moins chargée que dans d’autres manifestations. Tous les festivals devraient être comme celui-ci », lance Pierre en enlevant la barrière empêchant les voitures de circuler sur la route de Lausanne.
* Noms d’emprunts