Nouvelle série, épisode 2/3 – Savigny aura 200 ans le 17 mai
Le morcellement des communes de Lavaux au XIXe siècle
Etienne Hofmann | Dans le précédent article, paru le 23 mars dernier, on présentait deux situations opposées : au début du 19e, le canton de Vaud vit plusieurs communes se démembrer, tandis que dès la fin du 20e et surtout aujourd’hui, les fusions se multiplient rapidement. Après quelques généralités sur cette problématique, il convient maintenant de se pencher sur l’éclatement des communes viticoles de Lavaux : Saint-Saphorin qui, de 1808 à 1811, donne naissance à quatre nouvelles entités (Chexbres, Puidoux Rivaz et Saint-Saphorin) ; Lutry, qui voit ses Monts réclamer leur autonomie sous le nom de Savigny entre 1820 et 1825 ; le territoire de Villette qui, presque simultanément (1823-1826) et non sans difficultés, se brise en six communes indépendantes (Villette, Cully, Epesses, Grandvaux, Riex et Forel). Enfin Corsier, en 1829, qui se scinde en quatre (Corseaux, Jongny, Chardonne et Corsier).
Les disparités géographiques et économiques particulières de Lavaux expliquent en partie ces mouvements séparatistes. Trois zones partagent de bas en haut ces communes étagées, longilignes et perpendiculaires au Léman. Au bord de celui-ci (sauf à Corsier), se trouvent les bourgs où dominent les vieilles familles aisées de propriétaires fonciers, aux côtés d’artisans, de pêcheurs, de bateliers. Plus haut et sur de vastes surfaces s’étend le vignoble qu’émaillent plusieurs villages. La viticulture depuis plusieurs siècles est en expansion continuelle et repousse toujours plus haut les forêts, les emblavures et les pâturages. C’est le lot de la partie haute de ces territoires, les Monts, où vit assez chichement une population essentiellement paysanne et dépendante des ressources du bas, dans un climat rude, aux hivers longs et aux revenus précaires. Nul doute que ces contrastes aient déteint sur les mentalités et que, les distances aidant, le sentiment de ne plus faire partie d’un même ensemble a progressivement convaincu de nombreuses familles qu’une division s’avérait indispensable.
Tenir compte de l’importance des confréries
Mais cette réalité prégnante n’explique pas tout. Dans le cas de Villette et de Saint-Saphorin, il faut encore tenir compte de l’importance des confréries. D’origine très ancienne, ces sortes de corporations avaient peu à peu abandonné leur caractère religieux ; associations de bienfaisance au départ, elles secouraient les plus démunis. Puis elles s’étaient attribuées presque toutes les fonctions d’édilité publique : entretien des chemins, des murs de vignes, des fontaines, etc., tout en conservant la haute main sur la bourse des pauvres. Même les régents recevaient d’elles leur salaire. A tel point que les autorités publiques voyaient leur rôle se retreindre à la portion congrue, leurs fonctions étant accaparées par des associations privées, jalouses de leurs prérogatives. Les confréries exigeaient encore de ceux qui n’en étaient pas membres soit des contributions financières soit des corvées. Certaines, comme à Cully, avaient accumulé de grandes richesses, dont profitaient quelques familles de moins en moins nombreuses. D’autres, appauvries comme à Epesses, jalousaient ces privilégiés et partageaient l’exaspération des bourgeois ou des habitants exclus de ces castes. La minorité dominante échappait à tout contrôle et
refusait de présenter ses comptes. Après la constitution de 1803, l’injustice de ces archaïsmes inégalitaires devenait criante. Le démembrement apparut alors comme la solution qui abolirait les confréries et redistribuerait leurs biens dans de nouvelles communes,
dont les limites épouseraient plus ou moins celles de ces associations privées.
Plaintes et pétitions se succédant, le gouvernement vaudois contraignit les confréries et procéda au partage, selon une procédure qui se répète quasiment pour tous les cas de séparation en Lavaux comme dans le reste du canton : rapports du juge de paix ou du préfet au département de l’Intérieur ; sur préavis de ce dernier, le gouvernement saisit le Grand Conseil avec un projet de décret (dans le cas de Villette, il fallut trois tentatives) ; désignation d’une commission de partage, laquelle aboutit à un acte notarié stipulant avec précision la proportion de biens qui échoit à chaque commune.
Si une étude générale manque encore sur l’ensemble de ces divisions communales, le cas de Lavaux, à l’exception de Corsier, a déjà fait l’objet de plusieurs travaux : Saint-Saphorin et Villette ont retenu au début des années 1980 l’attention de deux licenciés de la Faculté des lettres de Lausanne. Non publiés, ces mémoires sont difficilement accessibles, contrairement aux pages que Louis-Daniel Perret a consacrées au cas de Lutry dans deux très beaux livres1. Dans un prochain article, nous reviendrons sur la séparation de Savigny, à l’occasion du bicentenaire de cet événement.
1. – Christian Rosset, Dislocation de communes au début du XIXe siècle : le cas de l’ancienne paroisse de Saint-Saphorin
– Mai 1982 ; Jean-Michel Savary, Le démembrement de la commune générale de Villette. Mai 1984
– Louis-Daniel Perret, Lutry sous le régime bernois et Histoire de Lutry et des Lutryens. Lutry, 2000 et 2011
Bientôt en librairie
Etienne Hofmann, Savigny se sépare de Lutry, 1820-1825.
Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, nº 153, 2023,
sous presse, en souscription sur le site
https://www.s-a-v.org/bhv/savigny-se-separe-de-lutry/
Publié avec le soutien des communes de Savigny et de Lutry.