60 ans de convergence vers Barnabé
En 1965, Jean-Claude Pasche, alias Barnabé, créait son premier spectacle à Servion. 60 ans plus tard, si le public et l’ambiance ont quelque peu changé, l’endroit est toujours un lieu de pèlerinage. Tenu aujourd’hui par Céline Rey et Noam Perakis, le café-théâtre Barnabé s’est créé une place de choix dans le paysage de la comédie musicale européenne. Interview croisée.


Le Courrier : Noam Perakis, Céline Rey, comment expliquer le succès du café-théâtre de Barnabé dans la région ?
Noam Perakis : Barnabé a commencé ses spectacles de revues en mai 1965. Il n’y avait pas de grandes prétentions, c’était quelque chose de familial avec des gens du coin. Mais ça a tellement cartonné qu’en 1974, ils ont construit un théâtre dans le bâtiment d’en face, avec 120 places. Et, finalement, en 1980, ils ont construit le grand théâtre actuel.
Céline Rey : La famille de Barnabé habitaient dans le bâtiment d’en face, et ses sœurs tenaient un restaurant qui était connu dans toute la région. Il a malheureusement fermé en 2020.
N.P : Oui. Aujourd’hui, nous continuons d’exploiter le bâtiment de l’autre côté de la rue. Nous y avons créé une maison de la création, on y loge les artistes, cet endroit est vraiment toujours plein de vie ! Et nous avons quelques projets pour le restaurant, pour le rénover et le rouvrir. On sait que ça intéresse beaucoup les gens de la région, mais pour l’instant nous n’avons pas plus d’informations à partager ! (rires)
L.C : Et aujourd’hui, qu’est-ce qui fait la notoriété du théâtre ?
N.P : Nous ne sommes pas un théâtre régional, avec du public qui vient du village d’à côté. Barnabé disait toujours que ce sont les Genevois qui ont fait le théâtre Barnabé parce que dans les grandes années des revues entre 1980 et 1990, il y avait un pèlerinage depuis Genève ! S’il y avait deux revues à aller voir, c’était Genève et Servion. En 2018, quand nous avons repris la direction, nous avons décidé d’arrêter de faire des revues pour en faire LE théâtre de la comédie musicale. Nous sommes reconnus comme tel par le public et les instances. On a perdu des milliers de spectateurs de la génération de M. Barnabé qui adoraient venir le voir. Ils revenaient chaque année. A ce moment-là, on a eu très peur, mais au final, on a regagné des milliers de nouveaux spectateurs qui viennent de toute la Suisse romande et de France voisine, qui ne connaissaient pas le café-théâtre et qui viennent pour les spectacles. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où voir des comédies musicales dans la région. Chaque année, on gagne encore des spectateurs. On est devenu le deuxième théâtre en Suisse romande en termes d’affluence, et le plus grand café-théâtre de Suisse à notre connaissance. Ils sont environ 40’000 par saison à venir. Tout ça alors que nous sommes à Servion, donc un peu au milieu de nulle part. C’est assez fou ! Ça montre qu’il y a un intérêt pour la comédie musicale, mais on est aussi probablement les seuls assez fous pour produire de la comédie musicale. C’est extrêmement risqué, ça coûte cher. Il faut beaucoup de monde, de technologie, de matériel.
L.C : Justement, quels sont les défis pour le futur à moyen terme ?
C.R : Nous avons grandi très vite. Quand on a repris la direction, il y avait moins de public, les revues perdaient de leur attrait. On est plein tout le temps, on peut difficilement accueillir plus de monde. Notre objectif, c’est de durer, de continuer à surprendre le public d’années en années, de toujours trouver des nouvelles idées. Nous aimerions aussi garder les comédiens sur le long terme.
N.P : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en quelques années, le budget du théâtre a triplé. Les spectacles ont pris une grande envergure. Le gros challenge, c’est que notre public n’est pas un aficionado du théâtre. On va le croiser dans un gros concert au Montreux Jazz Festival, à l’Aréna de Genève pour Starmania, ou à Londres en week-end pour aller voir les Misérables. Et finalement, c’est leur normalité artistique. Donc ils ne vont pas être surpris par un orchestre live, ils aiment ça. Ça veut dire qu’on ne peut pas faire des spectacles d’une envergure réduite. Par exemple, quand on a fait Robin des Bois, on ne pouvait pas juste mettre trois arbres pour faire une forêt, il nous fallait une vraie forêt. Ça a bien sûr un coût, mais les gens viennent pour ça. Alors on doit garder ce niveau très élevé.
C.R : Aujourd’hui, nous avons atteint un très bon niveau artistique. Il faut garder le savoir-faire et entretenir ça. Nous écrivons aussi des spectacles, et je crois qu’on a compris ce que le public veut.
L.C : Racontez-nous ce qui va se passer pendant ces 10 jours de célébrations…
C.R : On fête non seulement les 60 ans du Théâtre Barnabé mais aussi les vingt ans de la compagnie Broadway. On construit un grand concert avec les chanteurs de la compagnie qui ont pour certains vécus ces vingt dernières années dans la compagnie. Pour ça, nous faisons une sorte de rétrospective avec 30 chansons et 17 tableaux des plus grandes comédies musicales cultes que nous avons jouées. Il y aura le Fantôme de l’Opéra, que Barnabé aimait énormément, les Misérables, Jésus-Christ Superstar, Wicked, West Side Story. Et pour la première fois, on sera accompagné d’un orchestre rock symphonique de 16 personnes.
N.P : Pour chaque tableau, on plonge le public dans une sorte de petite parenthèse, un petit bout de chaque spectacle. Grâce à la vidéo et aux lumières, on peut plonger le décor dans des univers divers et variés. On a toujours vendu ça comme un concert mais en réalité c’est bien plus qu’un concert. C’est un show-concert-spectacle. Il y a des chorégraphies, des grands décors, des centaines de costumes.
C.R : Exactement. Il y aura peu de texte, mais entre chaque tableau, il y aura une petite anecdote racontée par des comédiens.
L.C : Comment vous sentez-vous sentez à la veille de cette grande fête ?
N.P : Ça avance bien ! Ce qui est assez fou c’est que quand on construit ces spectacles, on avance sur tous les fronts en même temps. On a en même temps des décorateurs, des musiciens, on travaille une chorégraphie dans une salle pendant que l’éclairagiste fait des simulations 3D, des vidéastes qui travaillent à leurs projections. Ça donne un peu le vertige parce que tout se met en place en même temps. Mais ça sonne déjà super bien, alors c’est rassurant. Nous avons choisi la crème des chanteurs dans notre réservoir d’artistes, tous des gens qui ont une grande expérience.
C.R : Et comme on passe par tous les styles, on peut vraiment mettre les bonnes personnes dans les bons registres. C’est plus difficile à faire dans d’autres spectacles.
L.C : Quels sont vos projets pour les années à venir ?
C.R : On vit beaucoup au jour le jour je dois dire. On enchaîne beaucoup les productions, et donc nous sommes déjà en train de penser à la scénographie de Charlie et la Chocolaterie, que nous jouerons au mois d’août. Et nous avons déjà fait passer les castings pour le grand spectacle d’hiver l’année prochaine.
L.C : Ce grand spectacle d’hiver, on a le droit de savoir ce que c’est ?
N.P : Ce sera une création, mais sur un thème très connu. Pour le reste on en parlera plus tard. Le spectacle d’hiver, c’est notre mastodonte, en général c’est la moitié des dates de la saison, avec plus d’un million de francs de budget.
C.R : On emploie environ cinquante personnes pour la création d’un spectacle comme celui-ci, entre tous les corps de métiers.
L.C : Et dans le plus long terme ?
N.P : Le cœur de la ligne artistique du théâtre Barnabé, c’est la comédie musicale. Nous avons aussi des accueils d’artistes ou d’humoristes comme Blaise Bersinger ou Marie-Thérèse Porchet, ou d’autres comédies musicales. Mais la réalité c’est que plus on fait de comédies musicales, plus on est heureux, et plus notre public est heureux. On voit que les gens sont très friands de comédie musicale. Je me demande si dans dix ans, on ne fera pas que ça.
Pour fêter ce double anniversaire, « Le Grand Concert de Broadway » réunira une vingtaine de spectacles phares produits par le café-théâtre Barnabé depuis plusieurs années.
Du 9 au 29 mai, les spectateurs pourront profiter de décors impressionnants et d’un orchestre rock-symphonique réuni pour l’occasion. Les spectacles auront lieu les vendredis et samedis ainsi que les jeudis 22 et 29 mai.