Tamedia bouleverse la presse romande
Fermeture des imprimeries de Bussigny et de Zurich, restructuration au sein des rédactions, l’annonce du plus grand groupe de média privé du pays a secoué le monde de la presse. 290 postes passeront à la trappe d’ici 2026. Le Courrier fait le point sur cette décision.
Le mot de l’éditeur – Créer un lien dans une jungle d’information

Olivier Campiche, éditeur | Nous vivons dans un monde où la quantité d’informations est colossale, parfois même, écrasante. Dans cette mer de données, il est impératif de faire le tri et de distinguer ce qui est réellement pertinent. La désinformation, amplifiée par les avancées technologiques et l’intelligence artificielle, devient de plus en plus difficile à discerner de la vérité. Il est donc crucial de vérifier la fiabilité des sources d’information.
Au Courrier Lavaux-Oron, nous nous engageons à fournir des informations de proximité rédigées par une équipe locale profondément ancrée dans notre communauté. Nous offrons des nouvelles et des conseils pratiques qui résonnent avec les réalités de notre vie quotidienne. Nous servons également de courroie de distribution entre les entreprises locales, les associations, les clubs et les particuliers. Les autorités utilisent nos pages pour communiquer efficacement avec les habitants, contribuant ainsi à la cohésion sociale de notre région. Dans un environnement souvent polarisé et mal informé, Le Courrier s’efforce de maintenir une sorte d’harmonie locale. Nous sommes fiers de notre mission et de notre contribution à la qualité de l’information.
Notre financement repose sur la publicité des entreprises locales et sur des abonnements soutenus par les communes, avec lesquelles nous établissons des partenariats précieux. Ces accords permettent aux communes de diffuser en continu les informations nécessaires au bon fonctionnement de la vie locale, prouvant que la communication est la clé pour éviter les problèmes. Nous nous efforçons de remplir notre mission de transmission de l’information avec sérieux et dévouement, sans prétention sensationnaliste, mais avec un engagement ferme envers la vérité.
Enfin, je souhaite rendre hommage à l’équipe du Courrier. Chacun de ses membres joue un rôle crucial, avec une polyvalence remarquable qui répond aux exigences d’une publication hebdomadaire. Leur engagement constant est le fondement de notre succès, et je les remercie chaleureusement pour leur dévouement inébranlable.
La chronique de Denis Pittet – Tamedia, etc., etc….

Une partie de l’histoire a commencé en 2005. En août de cette année-là, Edipresse se prépare à contrer une attaque qui sera lancée sept mois plus tard par Tamedia, rompant la paix des Braves qui avait été négociée des années et des années avant, surtout avec Ringier d’ailleurs : de manière implicite, Edipresse ne chercherait pas des parts de marché en Suisse allemande et Ringier (et Tamedia ?) ne viendraient pas embêter Edipresse en Suisse romande.
20 Minutes lance donc l’offensive en Romandie, surtout dans les cantons de Vaud et de Genève. C’est Tamedia qui est propriétaire de la licence 20 Minutes en Suisse. L’attaque est portée contre le Matin, gratuit qui ne dit pas son nom. L’affaire est suffisamment grave pour qu’Edipresse a décidé de lancer le Matin Bleu qui fera barrage à 20 Minutes. Tamedia finira par l’emporter. Dès fin 2007, les premiers licenciements – encore du fait d’Edipresse – commencent à décimer les rédactions et les imprimeries. Il faut rendre la future mariée belle. La suite on la connaît : Edipresse est vendu à Tamedia (concrétisation finale en 2011) et Tamedia, depuis, continue avec une belle régularité, à licencier et restructurer, preuve en est l’annonce de la semaine dernière.
Le modèle qui a régné dans le monde de la presse écrite aura duré environ de 1850 à 1990 sans connaître de faiblesse. Pour faire (très) simple, la publicité (et les abonnements parfois) couvrent les frais des journaux. Tous les frais. Qui se souvient encore de la fin des années 1970 où l’édition du samedi de 24Heures fait plus de 100 (!) pages comme celle du Matin Dimanche, vache à lait du groupe Edipresse et… encore vache à lait de Tamedia ! Ce qui est particulièrement cynique chez ce dernier, c’est qu’il clame vouloir donner la priorité au numérique mais doit conserver le Matin Dimanche qui continue de lui remplir les poches. Tamedia ne se vante que peu de cela.
Personne ne peut nier aujourd’hui que d’imprimer un journal, le distribuer, payer le papier, coûte plus cher que d’acheter de la mémoire d’ordinateur. En tuant le Matin semaine en juillet 2018, Tamedia a lancé un ballon d’essai. Tôt ou tard – et tôt si les affaires sur le Net du géant zurichois commencent à rapporter davantage – le print passera à la poubelle. C’est gravé dans le marbre.
Les grands géants de la presse écrite suisse ont cherché des années durant et cherchent encore comment négocier l’arrivée d’Internet (totale révolution) et l’incroyable montée en puissance des réseaux sociaux qui sont devenus eux-mêmes des médias. Formatés courts, les réseaux sociaux rétrécissent l’esprit de leurs utilisateurs. Il y a 40 ans, on faisait 2 pages sur 3 morts à Echallens. Aujourd’hui, une photo et 3 lignes de texte suffisent à rassasier tout le monde.
Contrairement à ce qu’affirment d’aucuns, on ne peut pas faire de l’information de qualité avec moins de journalistes. Dans les années bénies, 24Heures et le Matin avaient des photographes et des journalistes partout. On faisait de la politique suisse et du micro-local. Marcel A. Pasche, patron des rédactions d’Edipresse durant plus de 30 ans, disait toujours « mieux vaut une photo de la boulangère que de la boulangerie ».
Qui va survivre dans cette jungle ? Vous tenez la réponse dans vos mains : les petits journaux locaux. Les lois de la proximité font que la publicité ou les annonces fonctionnent encore et financent ces derniers. La petite presse locale doit fournir les informations officielles et celles que les gens attendent. C’est son créneau et son fardeau en même temps. Mais la petite presse locale doit aussi désormais élever son niveau d’exigence journalistique et exercer son devoir critique.
L’histoire des groupes de presse en cinq dates
Thomas Cramatte | 1830 Avant cette année, la Suisse romande possède une presse très modeste, quelques feuilles d’avis, écrit Alain Clavien. Dans son ouvrage « La presse romande », le professeur d’histoire à l’Université de Fribourg relève que la vague libérale qui traverse le pays à cette époque donne naissance à une vingtaine de titres à la fin 1831. Jusqu’en 1870, ce sont 200 nouveaux journaux qui voient le jour. C’est à cette période que la commercialisation de la presse débute en Romandie. De l’autre côté de la Sarine, il faudra atteindre 1890 pour observer le même mouvement.
1872 Naissance d’une presse dite « d’information ». Petit format, quatre pages avec une « der » d’annonces locales, bi- ou tri- hebdomadaire, le tout, dû à la plume d’un seul homme : « Souvent plus intéressé au commentaire politicien qu’à l’information ». Progressivement, une presse à vocation cantonale se dessine, avec un format plus grand et écrit par des journalistes professionnels privilégiant l’information sans oublier le monde politique. La Feuille d’avis de Lausanne nouvelle manière en 1872 (devenue le 24Heures) apparaît avant la Tribune de Genève (1879) et L’Impartial (1881).
1910 La presse devient quotidienne et s’insère dans le tissu économique helvétique. « Abonnements aux agences de presse, affermage de la publicité confiée à des entreprises d’envergure nationale », détaille l’historien. Ces éléments poussent plusieurs journaux à changer de raison sociale pour s’organiser en société anonyme avec des actionnaires réclamant leur dividende.
1950 La Suisse romande compte environ 110 titres de journaux au milieu du XXe siècle. C’est à partir de cette période que l’on voit apparaître les premiers groupes de presse, notamment, avec
la création de Lousana ou de La Société de la Feuille d’Avis de
Lausanne et des Imprimeries réunies, futur Edipresse.
Le Courrier Lavaux-Oron, que vous tenez dans vos mains, est né
en 1950 et jusqu’à ce jour indépendant de tout groupe.
2001 Cinquante et un ans plus tard, Edipresse connait une sorte de monopole de la presse romande, puisque c’est le groupe qui détient le plus de titres. Cette même année, L’impartial/l’Express sont rachetés par le groupe français Hersant, une concurrence qui ne provoqua pas les inquiétudes imaginées. En 2005, Edipresse réalise un autogoal en créant Le Matin bleu dans le but de concurrencer un autre gratuit, le 20 Minutes (Tamedia). « Très onéreuse, l’opération réussit surtout à mettre en difficulté un autre titre du groupe, Le Matin ».
En 2011, Edipresse est intégralement racheté par le groupe
zurichois Tamedia. La suite de l’histoire s’écrit aujourd’hui.