SOS géant pour améliorer les conditions des agriculteurs
Près de 500 tracteurs étaient réunis à Goumoëns. Le mouvement « Révolte agricole suisse » revendique une hausse du prix du lait immédiate et de meilleurs revenus pour les autres produits. Reportage.
Jeudi 29 février, ils sont une quinzaine à attendre de partir pour la région d’Echallens. Au départ de Mollie-Margot, Cédric Biedermann chapeaute le rassemblement local. L’agriculteur de Forel ne s’attendait pas à voir autant de collègues répondre à l’invitation : « Nous aurions déjà été heureux d’être huit ou neuf tracteurs à faire le déplacement ». L’objectif du mouvement « Révolte agricole suisse » est simple : améliorer les conditions de vie des agriculteurs. La date du 29 février n’a pas été choisie au hasard, car des négociations pour adapter le prix du lait ont lieu le lendemain : « IP Lait, la plateforme de l’économie laitière se mettra autour de la table demain pour décider du prix du lait. Nous revendiquons une hausse de 5 centimes ». Rappelez-vous, en début d’année, les producteurs de lait avaient mal digéré la baisse de deux centimes annoncée par cette même plateforme : « On sait qu’il manque du lait et que nous avons les moyens de faire pression. »
« Nous sommes victimes de la grande distribution, tout comme les consommateurs
qui subissent les prix imposés »
Jean-Bernard Chevalley
agriculteur à Puidoux.
Armés de leur tracteur et de leur amour du métier, il aura fallu près d’une heure pour que les agriculteurs au départ de Mollie-Margot rejoignent le point de rendez-vous. Empruntant la Route des Paysans à travers les Bois du Jorat, l’ironie du sort les fera passer à quelques mètres de la Migros d’Echallens. Une enquête réalisée conjointement par le journal Le Temps et Heidi.news en 2022 avait mis au grand jour les marges considérables (+60 %) pratiquées par le géant orange et la Coop. Des révélations qui avaient provoqué la colère des producteurs et des consommateurs. « Même si nous aimons notre profession et l’idée de nourrir la population, il n’est plus possible d’accepter ce vol autorisé. Nous sommes victimes de la grande distribution, tout comme les consommateurs qui subissent les prix imposés » s’insurge Jean-Bernard Chevalley, producteur à Puidoux. Pour lui, le système actuel est paradoxal : « Des subventions toujours plus importantes sont allouées à l’écologie. Le problème, c’est que les agriculteurs qui ont inscrit des prairies en zone verte ne peuvent plus vraiment nourrir leurs vaches. A tel point, qu’il faut aller chercher du fourrage ailleurs, voire même à l’étranger. Adieu le circuit court et bonjour l’aberration écologique. »
En se rapprochant de Goumoëns-la-Ville, la circulation s’intensifie et les tracteurs s’enfilent dans un pré de cinq hectares, soit près de sept terrains de foot. Il est 20h15 quand les derniers véhicules se placent pour former un SOS géant vu du ciel. Des actions similaires ont lieu au même moment dans les cantons de Fribourg, Genève, Jura, Jura bernois et Neuchâtel.
Un combat pour les prochaines années
Bas revenus, heures de travail élevées, charges en augmentation, les agriculteurs ne sont pas uniquement là pour obtenir une hausse du prix du lait : « Nous avons tout un tas de revendications à faire passer ce soir », ajoute Cédric Biedermann à notre micro avant que démarre la partie officielle.
« Bonsoir, bonsoir. Chaque semaine, un agriculteur suisse dit stop à la production de lait, tous les deux mois, l’un d’entre eux met fin à ses jours » lance Marlène Perroud. Installés sur le pont d’une camionnette, les membres de la section vaudoise de « Révolte agricole suisse » encouragent à se battre : « La population vaudoise boit un litre de lait par jour. Il est donc crucial d’avoir un auto-approvisionnement, mais on en est loi » détaille l’agricultrice de Grange-Verney. Après ces quelques mots d’introduction, c’est le conseiller national Jacques Nicolet qui s’empare du micro : « Le monde paysan doit gagner sa vie de son travail (…), il est important de mettre une immense pression pour que le prix du lait augmente. Car, il y a une velléité de ne rien faire » informe l’agriculteur de Lignerolle. « Il faut avoir le courage de revendiquer 20 % d’augmentation sur l’ensemble des denrées agricoles sur une échéance de trois ans ». Après un tonnerre d’applaudissements, le conseiller national explique qu’une motion favorable à l’agriculture a été déposée à Berne : « C’est pas que nous sommes contre la biodiversité, mais faire dix mille hectares supplémentaires sur des terres agricoles cultivées en blé, c’est trop ! Ce blé, c’est 80’000 tonnes de pain, soit le pain quotidien de deux millions d’habitants ».
Sur le coup des 21 heures, tous les propriétaires de tracteurs sont invités à démarrer leur engin, à allumer les phares et à klaxonner durant dix minutes pour se faire entendre. Des drones capturent la scène pour immortaliser ce combat. Un message qui sera entendu le lendemain, car l’interprofession du lait (IP lait) décide d’augmenter de trois centimes le prix du lait à partir du 1er juillet. Une action jugée minime, mais qui permettra de retrouver le calme dans les campagnes helvétiques, au moins jusqu’à ce que le prix du lait soit à nouveau dans le viseur.