Cinéma – Noctambule enflammé
« La fièvre de Petrov » – Kirill Serebrennikov, 2020

Charlyne Genoud | Adapté d’un roman d’Alexey Salnikov, « La fièvre de Petrov » conjugue les époques dans une Russie hypnotisante, en une longue phrase sans virgule, envoûtante et parfois désœuvrante, tant elle rompt avec certains codes du septième art.
Cauchemardesque
Il y a les transitions d’abord, auxquelles sont sacrifiées la logique du monde, dans lequel le réalisateur place ses personnages. Des décors qui s’affaissent pour laisser la place à d’autres. La caméra continue sa route au travers de ces derniers, au point que, comme dans un cauchemar, on ne sache plus réellement comment on en est arrivé là. Et tant ce mouvement, cette fuite en avant perpétuelle de l’esprit rendu mobile par la caméra, que les visions qui peuplent ce récit onirique nous ramènent à nos souvenirs nocturnes. Des cauchemars angoissant au rythme changeant.
Les images de la fièvre
La réalité de ce film qui a concouru à Cannes est proche de nos craintes contemporaines puisqu’il s’agit d’une lourde grippe qui enfièvre Petrov, un père de famille bédéiste. La maladie qui hante déjà notre imaginaire collectif vient emplir cette fiction pour révéler ce qu’elle fait ressurgir : affaibli par la toux qui lui racle les entrailles, Petrov revoit des images de son enfance. Les vues des premiers temps de sa vie, petit à petit se confondent avec le présent, quoique délimitées formellement par un cadre noir. Ces images, d’un passé volontairement oublié, sont revigorées par la grippe, alors elles remontent à la surface, venant d’abord expliquer le présent, puis, lorsqu’elles se multiplient trop, allant jusqu’à le faire oublier. Et comme le signale le réalisateur, certaines intrigues « se répètent inlassablement » comme cela serait le cas dans un esprit pétri par l’angoisse ou le remord.

Jouer Petrov
Kirill Serebrennikov est connu pour l’acuité de ses choix en matière de distribution. Pour ce long métrage, il a choisi Semyon Serzin, acteur mais aussi directeur de théâtre. Choix intéressant puisque Serzin a d’abord été chargé de mettre en scène une adaptation théâtrale du roman d’Alexey Salnikov, avant de se voir confier ce rôle complexe. La polyvalence de l’acteur lui vaut une remarque élogieuse du réalisateur : « C’est un artiste formidable, qui en plus de cela, voit les choses avec un regard de metteur en scène. Parfait pour incarner Petrov ». En effet, ce personnage qui met en scène finalement ses déambulations mentales n’aurait pu trouver meilleur interprète qu’un comédien metteur en scène.

Kirill Serebrennikov: l’homme du Gogol-center
Il est passé à Cannes, à Venise, à Locarno, à Karlovy Vary, a reçu de nombreux prix et marqué les esprits par son cinéma surprenant. En plus de cette carrière de réalisateur fait de succès, Kirill Serebrennikov a dirigé le Gogol-center de 2012 à 2021. Ce théâtre d’avant-garde Moscovite présente films, concerts et performances d’artistes tant locaux qu’internationaux. C.G.
« La fièvre de Petrov » de Kirill Serebrennikov, 2020. 146’. Russie, France. A voir au cinéma d’Oron, les 3, 4 et 5 décembre


