La petite histoire des mots
Sadisme
Georges Pop | Depuis le début de l’été, en France, la police est en alerte face à la multiplication des cas de mutilation de chevaux et de poneys. Le phénomène touche pratiquement tout le pays, jusqu’aux portes de la Suisse. Plus de cent-cinquante instructions ont été ouvertes et les enquêteurs se perdent en conjectures sur les mobiles de ces actes révoltants, souvent taxés de pur « sadisme ». Voilà qui nous conduit au mot « sadisme », qui évoque la recherche du plaisir dans la souffrance physique ou morale infligée à un adulte, souvent un conjoint, à un enfant, voire à un animal, ce qui est le cas ici. Le mot évoque aussi une pratique sexuelle qui n’a, à priori, rien de répréhensible, en dehors de toute considération morale, pour autant qu’elle soit librement consentie entre partenaires majeurs. Le terme a été inventé en 1886 par le psychiatre germano-autrichien Richard von Krafft-Ebing, auteur d’une recherche sur les perversions sexuelles (sic) intitulé « Psychopathia sexualis ». Il l’a composé à partir du nom de l’écrivain français Donatien Alphonse François, mieux connu sous le titre de marquis de Sade. L’œuvre du « divin marquis » fut longtemps mise à l’index et condamnée à la clandestinité, en raison de la part qu’elle accorde à un érotisme associé à des violences sexuelles. Elle n’a été réhabilitée qu’au début du XXe siècle par l’éditeur français Jean-Jacques Pauvert qui dut, d’ailleurs, s’en expliquer devant la justice. Non content d’avoir inventé le terme « sadisme », Richard von Krafft-Ebing est aussi l’inventeur du mot « masochisme » qui évoque la recherche du plaisir à travers la souffrance psychologique et les humiliations, ajoutées, souvent, à la douleur physique que le sujet aime s’infliger à soi-même ou qu’une autre personne lui fait subir. Pour forger ce terme, le psychiatre s’est, sans doute un peu abusivement, inspiré du nom de l’écrivain allemand Leopold von Sacher-Masoch, supposé, dans une partie de son œuvre, être subjugué par les femmes dominantes ; un concept jugé choquant par la « virile » société masculine de son temps. Dès le fin du XIXe siècle, les termes « sadisme » et « masochisme », empruntés au jargon psychiatrique allemand, firent leur apparition dans la littérature française, avant d’être adoptés par l’Académie. Ils ont fini par définir non seulement des perversions psychologiques, redoutables lorsqu’elles sont associés à des psychopathes, mais aussi des pratiques sexuelles consenties, devenues presque banales. Les deux termes ont d’ailleurs fini par faire bon ménage puisque, dès la première moitié du XXe siècle est apparu le mot-valise (mot composé de morceaux de deux ou plusieurs mots) « sadomasochisme » qui décrit la recherche du plaisir à travers la violence et/ou la soumission. Dans son roman Le pull-over rouge, paru en 1978, l’écrivain français Gilles Perrault a écrit : « Tout couple humain vit dans un rapport qui, d’une certaine façon, à un moment ou à un autre, est d’ordre sadomasochiste ». Les lectrices et les lecteurs en couple de cette chronique ont le choix de se reconnaître, ou pas, dans cette sentence. Quant aux braves chevaux de France, de grâce, qu’on leur fiche la paix !