Votations fédérales
La retraite à 65 ans pour tout.e.s ?
Le principe de la rente vieillesse est l’un des fondements sociaux de la Suisse. Active depuis 1948, le premier pilier en est à sa dixième réforme. Au cœur de la votation du 25 septembre, la neuvième révision de l’AVS (AVS21) divise hommes et femmes, puisqu’il s’agit d’augmenter le départ à la retraite de ces dernières d’une année, soit de 64 à 65 ans.
Alors que les enveloppes de vote viennent d’arriver dans les mains des citoyens, le projet AVS 21 fait déjà débat. C’est que le sujet est sensible. Pour cause : cette énième révision de l’assurance-vieillesse et survivants doit garantir le versement des rentes jusqu’en 2030. On parle donc du futur du système de retraite helvétique. C’est « le » sujet de ces votations, celui qui fâche. « Avant d’augmenter l’âge de la retraite pour les femmes, il est impératif de garantir l’égalité salariale et de réformer le 2e pilier », évoquait Maya Graf, conseillère aux Etats et coprésidente d’Alliance f, comité défendant la voix des femmes dans la politique suisse.
Rejetés à 52.7 % en septembre 2017, la dernière réforme de l’AVS n’était pas constituée des mêmes ingrédients. Cette révision englobait le premier pilier et la prévoyance professionnelle, soit le deuxième pilier (voir schéma sécurité et qualité de vie dans la vieillesse) : « Suite à cet échec dans les urnes, le gouvernement a décidé de séparer les deux objets », communique Marie Vuilleumier, journaliste pour le site Swissinfo.ch. L’objet soumis au peuple le 25 septembre prochain se concentre uniquement sur l’AVS.
Deux objets dans les urnes, sinon rien
Pour que la nouvelle réforme AVS21 soit acceptée, un autre texte soumis à votations doit également être approuvé le 25 septembre : un rehaussement de la TVA de 0.4 % (7.7 % à 8 %).
En comparaison avec l’AVS, qui est une assurance obligatoire pour tous les travailleurs, la hausse de la TVA est l’affaire de tous, puisqu’elle augmentera les prix des biens et des services. Les deux textes vont de pair, la réforme AVS ne peut entrer en vigueur que si la TVA est acceptée et vice-versa. En cas de oui, la nouvelle réforme de l’AVS sera déployée courant 2024.
A en croire les projections de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), si aucun changement n’est entrepris, le système actuel de l’AVS devrait être déficitaire dès 2029. L’année dernière, les comptes de l’assurance-vieillesse se sont bouclés avec un bénéfice de 2.6 milliards de francs et une fortune de 49.7 milliards. « Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes permettrait d’économiser 1.2 milliard par année dès 2029, tandis que la hausse de TVA apporterait 1.3 milliard supplémentaire dès 2024 », précise la journaliste. Malgré cet apport d’argent influencé par AVS21, les prévisions mentionnent que les rentes ne sont pas garanties au-delà de 2030.
Âge de référence plutôt qu’imposé à 65 ans
La Suisse est l’un des cinq pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) à ne pas avoir uniformisé l’âge de la retraite entre homme et femme : « L’espérance de vie augmente et nous vivons plus longtemps en bonne santé, il est donc logique d’adapter le départ à la retraite », spécifie Florence Gross. Pour la députée au Grand Conseil vaudois, cette réforme à l’avantage d’apporter un âge de référence plutôt qu’un âge de départ à la retraite imposé. Du côté des opposants, pouvoir partir entre 63 et 70 ans est une notion pouvant paraître convaincante, mais uniquement pour une certaine tranche de la population : « Choisir quand nous voulons partir à la retraite plutôt que quand nous pouvons le faire est un luxe réservé aux hauts revenus », lance Margarida Janeiro, conseillère communale à Bourg-en-Lavaux.
En pratique, les travailleurs utilisant leur droit à la retraite avant 65 ans seront autorisés à percevoir une partie de leurs rentes. Un décompte sera effectué sur leurs cotisations versées après 65 ans. S’il sera possible d’anticiper ou d’ajourner une partie de ses rentes, ces mesures sont prévues pour 2027 au plus tôt. Le passage de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes s’adaptera à l’année de naissance de ces dernières : « Les femmes nées entre 1961 et 1969 bénéficieront de meilleures conditions si elles optent pour une retraite anticipée », informe le site de la Confédération.
Interviews
Margarida Janeiro
Membre du comité directeur du PS vaudois et conseillère communale à Bourg-en-Lavaux
Pourquoi ne soutenez-vous pas cette réforme ?
Cette votation n’arrive pas au bon moment, car l’AVS est aujourd’hui très saine. Il y a actuellement d’importants problèmes d’inflation, les charges des loyers qui vont assurément accroître cet hiver et maintenant, la TVA qui va augmenter de 0.4 %. C’est extrêmement antisocial. Cette réforme n’a ni été faite en considération des femmes, ni en considération du système solidaire.
Une réforme sur le dos des femmes ?
On va demander aux femmes de travailler une année de plus, alors qu’elles vont perdre une année de rente et cotiser une année de plus. Ce sont 7 milliards de pertes qui sont annoncées. Un des moyens proposés par l’Union syndicale suisse serait de pouvoir utiliser les réserves de la BNS.
On entend souvent dire qu’en cas de oui, cette réforme serait la porte ouverte à toujours plus d’augmentations, qu’en pensez-vous ?
C’est bien ça le risque. Même si nos conditions de vie s’améliorent d’année en année, l’espérance de vie entre les différentes classes socioprofessionnelles n’est pas du tout la même. Prenons par exemple les personnes exerçant des métiers pénibles, ces dernières sont plus rapidement épuisées et affaiblie par leur profession. Pour moi, cette réforme ne ferait qu’augmenter le chômage des séniors, qui représente déjà la tranche d’âge la plus touchée avec plus de 67 % de demandeurs d’emplois.
Pourquoi les opposants disent qu’il faudrait d’abord résoudre les problèmes d’égalité salariale avant d’augmenter l’âge du départ à la retraite des femmes ?
Les femmes touchent en moyenne 20 % de salaire en moins que les hommes. Si cela fait partie de la part inexpliquée des inégalités, elles ne pourront pas cotiser autant que les hommes, la faute à moins d’années passées à travailler. Plus concrètement, le congé paternité est récent et encore en 2022, ce sont souvent les femmes qui doivent mettre en pause leur emploi. Le même phénomène s’observe pour les métiers exercés à temps partiel, une réduction du temps de travail est moins facilement accordée aux hommes. De base, une femme a donc une rente moindre.
La Suisse ne devrait-elle pas suivre les majeures parties des pays de l’OCDE en uniformisant l’âge de la retraite ?
Il faut égaliser les conditions qui mènent à la retraite. A titre personnel, je ne suis pas favorable par cette pratique chez nos pays voisins. Mais il ne faut pas oublier que l’âge de la retraite y est moins élevé. Fondamentalement, je ne suis pas contre l’uniformisation de l’âge de la retraite, pour autant que les cotisations deviennent égales entre les genres.
Pourquoi les femmes devraient dire non le 25 septembre ?
Les femmes vont devoir travailler une année de plus, pour finalement, moins cotiser que les hommes. On estime à une perte de 1200 francs de rente annuelle.
Florence Gross
Députée et conseillère communale à Bourg-en-Lavaux
Pourquoi soutenez-vous cette réforme ?
Je soutiens cette réforme car nous devons nous assurer de l’avenir financier et du système de l’AVS en stabilisant ce premier pilier. Cela ne se fera pas sans compromis.
Quel est ce compromis ?
Je ne pense pas qu’il existe de réforme idéale. Si tel était le cas, elle aurait déjà été proposée. Il suffit d’observer les réactions au sein des Parlements cantonaux et fédéraux, il est très rare que la totalité d’une réforme proposée convienne à toutes et tous. Le compromis fait partie de la politique helvétique. Je vous donne un exemple : en tant que membre du PLR (Parti libéral radical) je n’étais pas en adéquation avec une augmentation de la TVA. Une hausse de 0.4 % est acceptable et même bienvenue concernant l’AVS.
Que pensez-vous des solutions proposées par la gauche comme l’utilisation des bénéfices de la BNS ?
Quand on voit les pertes de la Banque Nationale Suisse de cette année, je pense que la solution de la TVA est préférable, car il s’agit d’une solution pérenne.
Les opposants à un relèvement de l’âge de la retraite craignent qu’en cas de oui, ce soit la porte ouverte à toujours plus d’augmentations, qu’en pensez-vous ?
Nous sommes l’un des cinq pays de l’OCDE à ne pas avoir encore harmonisé l’âge de la retraite entre les genres. L’espérance de vie augmente et nous vivons plus longtemps en bonne santé, il est donc logique d’adapter le départ à la retraite. Cette nouvelle réforme apporte un âge de référence et non un âge de retraite. A l’avenir, nous devrions peut-être nous baser sur les années de cotisations des travailleurs plutôt que sur l’âge. La pénibilité du type de travail devrait également être prise en considération.
Ne faudrait-il pas résoudre le problème de l’égalité salariale avant d’augmenter l’âge du départ à la retraite des femmes ?
Aujourd’hui, j’entends des combats, mais pas de solutions. Je ne comprends pas cette problématique, mais il est clair que des inégalités existent. Plusieurs professions se basent sur des conventions collectives de travail permettant d’atteindre des grilles salariales égales entre hommes et femmes. Ces mesures devraient être encouragées dans toutes les professions.
Pourquoi les femmes devraient dire oui le 25 septembre ?
Que l’on soit femme ou homme, il s’agit avant tout d’une solidarité entre les générations. Le débat des genres me semble dépassé, nous devons être solidaires entre tous pour nous assurer du bien-vivre de notre retraite mais également celles de nos parents, grands-parents, enfants et petits-enfants.
Qui soutient cette réforme ?
Le gouvernement et la majorité du Parlement soutiennent cette réforme. La droite, les milieux économiques et les partis du centre sont du même avis : « Je sais que cela engendre des efforts de
la part des femmes. Mais si nous voulons l’égalité salariale, l’accès à de hauts postes professionnels et des protections, nous devons accepter ce texte. L’égalité, ce n’est pas un menu à la carte », détaille la conseillère nationale Céline Amaudruz. D’après la documentation officielle accompagnant le texte, la stabilité financière de l’AVS est bientôt menacée. En cause : les baby-boomers arrivant à l’âge de la retraite et l’espérance de vie augmentant.