Voile – Yves Courvoisier, bureau d’études Alinghi Redbull Racing Team
Coupe de l’America, interview
Yves Courvoisier, affecté à la prédiction, donc avant que le bateau n’existe, résume ainsi son parcours. Le projet jusqu’à la réalisation a muri durant plus de trois ans, depuis que l’équipe existe.
Dans un bureau d’études, les frontières sont difficiles à établir. L’équipe réunit plus d’une centaine de personnes affectées dans la gestion administrative, la communication, etc. Le bureau d’études en compte à peine la moitié, voire moins. Pour construire un bateau, il faut un architecte naval, une équipe qui s’occupe de la structure pour être sûr qu’il ne va pas casser, les gens de la performance, ceux du dessin, etc. En gros, pour chacun des domaines, il n’y a qu’environ trois personnes pour chacun des gros thèmes du bateau.
Dans la prédiction, le bateau n’existe que dans la tête des designers. Savoir si c’est bien, modifier les dessins sur l’ordinateur, accompagner la lecture de la performance du bateau sont les tâches de ce bureau d’études. Une fois qu’on ira naviguer, savoir si on peut faire mieux, recevoir de l’équipe navigante les points faibles et les points forts… les concernent aussi.
Car c’est un défi, non seulement d’amener un nouveau bateau, mais de l’armer avec tous les systèmes, qui soient fonctionnels et efficaces. Le premier Boat Zero a précédé l’unité de course qui n’avait aucun système à bord. Il fallait réunir un groupe de gens capables de fournir tous les systèmes hydrauliques, toutes les commandes électriques qui permettraient de faire naviguer le voilier avec précision et aisance. C’est ça la clé : une chose est de faire aller un bateau, une autre de le contrôler efficacement.
La règle qui définit ces voiliers est un concept de boîtes. Chaque élément doit rentrer dans une boîte. A partir de là, il y a une certaine liberté dans chacune d’elles. Par exemple, les foils ont leur boîte. On peut en utiliser trois dans l’eau. Dès le moment où on mouille une géométrie, elle est considérée comme utilisée. On a le droit de modifier la géométrie jusqu’à un certain poids, jusqu’à 20 % du poids initial. Le foil pèse très lourd car il contient beaucoup de plomb, de même pour le flap, plutôt léger. La wing et le flap sont deux éléments dissociés, l’arrière étant mobile. Toutes ces améliorations sont possibles, d’abord en phase de développement, mais aussi entre chaque segment de la course : les régates préliminaires, les Round Robin, la demi-finale et la finale. Avant chacun de ces événements, l’équipe peut déclarer les géométries qu’elle compte utiliser et qui ont le droit d’être modifiées.
Y a-t-il un avenir pour ce type de voilier ?
C’est très probable, les futurs gagnants et challengers se sont prononcés pour réutiliser une jauge très similaire, donc cet AC75 deviendrait le bateau d’entraînement pour la prochaine Coupe. C’est donc très encourageant, pour les marins, surtout pour Alinghi qui avait le handicap d’être une équipe nouvelle.
L’ingénieur souligne encore le fait que ça a été un réel plaisir de travailler à ce projet. Il a fallu énormément d’énergie. « Au début on se lance, on signe un contrat pour se joindre à l’équipe. Le déménagement est une décision familiale qui implique une mutation de la famille au sein du projet, ce qui constitue une expérience extrêmement riche. Intégrer une équipe qui a humainement des valeurs, plein de gens magnifiques, une ambiance magique, à l’intérieur d’un cadre très dur, était aussi extrêmement motivant. L’enjeu comme les attentes sont énormes. Ensemble, cette pression se transforme en quelque chose de constructif ». Yves Courvoisier est triste pour le résultat obtenu, mais en réalité « l’équipe a fait quelque chose de tout à fait digne et de plutôt beau. Créer une nouvelle équipe, mettre en place un nouveau bateau nécessitent énormément de temps pour parvenir au point zéro qui est une utilisation normale du bateau. Tous les concurrents se sont construits sur une histoire beaucoup plus longue que la nôtre. Quand nous avons commencé à choisir les outils, eux, ils étaient déjà en train de les utiliser ». De ce point de vue-là, Yves trouve qu’ils ont réalisé quelque chose de merveilleux.
D’un autre côté, Mario, un ingénieur italien, bénévole pour cette Coupe durant deux mois, habite lui aussi Barcelone pour la durée des courses. Il va devoir retourner chez lui, avec regret. Mais lorsqu’on évoque la performance de Luna Rossa, il dit ce qu’on pense. C’est une voiture de sport italienne, qui manque de fiabilité. Un vérin de foil a sauté, il l’a vu. Peut-être que sans cette recherche à tout prix du gain de poids…