Viticulture
L’après à Epesses
Nouvelle série – Sur le balcon du Léman, la relève s’amorce tranquillement. L’envie et l’énergie de la nouvelle génération de vignerons ne manquent pas.
Texte et photos Manon Hervé | Au cœur du vignoble, dans le traditionnel village vigneron d’Epesses, l’incertitude de la relève dans les vignes se fait sentir, plus forte qu’ailleurs.
Le village d’Epesses a longtemps été le siège d’une large communauté de très petits vignerons. Ces dernières années toutefois, le nombre de producteurs a diminué. Nombreux sont ceux qui ont eu de la peine à s’adapter aux changements du marché, qui n’ont pas pris le virage du digital, que les stricts quotas de production ont impacté…
Autant de raisons qui font que le bourg d’Epesses ressent plus que d’autres le manque de relève dans ses vignes. Tout n’est cependant pas si noir. De par sa situation géographique dans le vignoble et sa réputation, Epesses attire. Dézaley et Calamin sont des appellations particulièrement porteuses. C’est en partie ce qui a convaincu Xavier Fonjallaz, habitant à Corsier, de venir s’y installer. Après un apprentissage, un diplôme de l’école de Changins et des débuts, en 2019, comme vigneron-tâcheron pour la cave Morel à Chardonne, le jeune homme a repris en novembre 2020 le domaine de son homonyme Pascal Fonjallaz au Crêt-Dessous. Si Xavier a une préférence pour le travail à la vigne, il avait aussi envie d’accomplir lui-même le processus de A à Z et de créer ses propres cuvées. Petit-fils d’un vigneron d’Epesses, c’est un juste retour aux sources pour celui qui a découvert l’univers du vin grâce à son oncle vigneron. A 26 ans, le jeune homme a aujourd’hui plusieurs cordes à son arc : en plus d’être tâcheron à Chardonne et propriétaire à Epesses, il vinifie pour la commune d’Oron. Passionné, il ne compte pas ses heures et reconnaît que ce travail demande un engagement considérable.
« Il faut être patient, le vin
c’est une année complète de travail »Xavier Fonjallaz
A Epesses, la communauté vigneronne a été plutôt contente de son arrivée. Il bénéficie du réseau de son prédécesseur et d’une belle collaboration entre vignerons. Son deuxième millésime tout juste mis en bouteille, Xavier donne un coup de main pour la mise des voisins. Au Crêt-Dessous, le vin se fait sur fond de solidarité. Selon Franco Bianco, vigneron pour la cave voisine, cela fait figure d’exception pour le village d’Epesses où chacun a longtemps eu tendance à travailler dans son coin. Mais c’est une tendance qui a de l’avenir auprès des jeunes, estime le vigneron. Cette mise en commun des outils et des idées, Grégory Massy en est un des premiers convaincus. Un peu plus haut, au cœur du village d’Epesses, les frères Massy ont officiellement repris le domaine en janvier 2022. Benjamin travaillait déjà depuis 12 ans à la cave avec son père,
Grégory les a rejoints il y a maintenant six ans. Les deux employés du domaine, un caviste multitâches et un vigneron, partiront bientôt à la retraite et la question de la suite se pose. Grégory Massy est partisan d’un changement fondamental de la manière de fonctionner. Il défend l’idée d’un regroupement de vignerons afin de partager les ressources et les forces de vente.
Chez les Massy, on a déjà l’habitude de collaborer, notamment avec le domaine Chaudet (ndlr : lire « la relève à Rivaz » du
9 mars) pour des événements de promotion. Le marketing est devenu incontournable et « cela tombe plutôt bien », sourit Grégory, « puisque c’est ce à quoi la nouvelle génération est très forte ». Il est lui-même confiant en l’avenir. Certes, encore quelques vignerons risquent de disparaître ces prochaines années, mais on trouvera toujours acheteur ou locataire dans la région afin d’éviter que le vignoble soit laissé à l’abandon. La maison Massy, elle-même, est à la recherche de vignes. Pour défendre l’image des vins de Lavaux, Grégory Massy mise en particulier sur l’œnotourisme. Lui-même a fait des études de tourisme et a travaillé huit ans dans ce secteur en Autriche avant de se spécialiser dans le vin. A son retour au domaine, il a ramené avec lui son expertise et une vision d’avenir quant à l’importance d’intégrer l’œnotourisme. L’un des projets qui lui tient à cœur est d’améliorer l’accueil au domaine pour les dégustations afin d’améliorer, in fine, l’image globale du vin suisse.
Sur les hauteurs d’Epesses, chez Gaillard et Fils, l’œnotourisme fait partie intégrante de l’activité : réception de groupes, location de ceps de vigne, petite restauration sur place… La famille Gaillard est actuellement en pleine rénovation de sa terrasse surplombant les vignes. Avec une vue incroyable sur le vignoble, le lac et les montagnes, l’objectif est d’exploiter au maximum l’immense potentiel de cet emplacement privilégié.
« Ce n’est pas un métier facile,
il faut vraiment être passionné » Clément Gaillard
Clément Gaillard a tout juste 17 ans et lui aussi, à l’instar de Xavier, se pose la question de la relève dans les vignes. En Lavaux, des centaines d’hectares pourraient ne pas être repris, surtout les parcelles non mécanisables. Pour Clément, c’est le plus grand défi de demain pour le vignoble. En 2021, il était l’unique apprenti caviste de l’école de Marcelin à terminer l’année. « Même des fils de vignerons ont arrêté la formation en cours de route », souligne-t-il.
Lui-même, malgré – ou plutôt grâce – à son jeune âge, déborde d’énergie et d’ambition.
Actuellement en deuxième année d’apprentissage chez Obrist à Vevey, il apporte, en parallèle, de nouvelles idées au domaine familial. Comme cette initiative de produire une cuvée en partenariat avec Timea Bacsinszky en soutien au Tennis suisse. Particulièrement créatif à la cave, il travaille actuellement sur un projet de Chasselas sur lies avec élevage en foudre pour fêter les 60 ans du domaine familial.
Le jeune homme aime toutes les facettes du vin, de la vigne à la cave en passant par le côté commercial qui « devient de plus en plus compliqué, c’est un super défi ! ».
« Le marché s’est durci, on a meilleur temps
de travailler ensemble » Gregory Massy
Grégory Massy le disait « la nouvelle génération est motivée et très bien adaptée au marché » : Xavier et Clément, à l’instar d’autres jeunes vignerons du village, en sont la preuve vivante.