Une œuvre à la fois colorée et engagée
Lubaina Himid au Musée des Beaux-Arts de Lausanne
Voici un art riche en significations, mais figuratif, non abscons, et de nature à intéresser un large public. Née à Zanzibar en 1954, la Britannique Lubaina Himid est une figure influente de la création contemporaine. L’exposition du MCBA, réalisée en collaboration avec la prestigieuse Tate Modern de Londres, et qui bénéficie de prêts venant des Etats-Unis et d’Europe, présente à travers plus de septante œuvres tout le parcours de l’artiste pendant quarante années. Celui-ci intègre l’histoire coloniale de l’Afrique. Il se réclame aussi du féminisme. Mais sans être une « œuvre à thèse », dans le mauvais sens du terme. Car les tableaux de Lubaina Himid sont en même temps très vivants et colorés.
En préambule, le visiteur est accueilli par de grands drapeaux inspirés par les Kangas, ces textiles d’Afrique de l’Est aux multiples usages. Puis les différentes salles de l’exposition répondent à chaque fois à des questions existentielles. Ainsi, la première s’interroge sur nos espaces de vie, notamment sur les bâtiments où les femmes aimeraient vivre et travailler. La deuxième, particulièrement belle sur le plan esthétique, se penche sur le thème de la mer. Il est résulté de cette réflexion une série de toiles peintes dans une cabine de sauveteurs transformée en atelier. La mer et ses plages, espace de villégiature, mais aussi lieu transitoire pour les esclaves noirs emmenés dans les Amériques, et infini de tous les dangers pour les migrants d’aujourd’hui ! On pourra voir également de la vaisselle conçue par l’artiste, et qui s’inspire de différentes régions d’Afrique, avec leurs motifs traditionnels.
Au deuxième étage, on appréciera particulièrement les deux installations monumentales Freedom and Change et A Fashionable Marriage (1984-1986). La seconde pastiche une peinture de Willam Hogarth datant du XVIIIe siècle, époque où l’Empire britannique est en pleine croissance. Mais Lubaina Himid y introduit et y valorise la présence de femmes noires. On y trouve aussi des imitations de toiles de Picasso et des figures alors contemporaines, comme celles de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan… Au centre, une belle Africaine revêtue d’une robe somptueuse. Tout cela évoque un décor de théâtre ou d’opéra, métier pour lequel l’artiste avait été initialement formée.
Enfin, la grande salle qui clôt l’exposition est peut-être celle qui plaira le plus. Elle contient une série de grands tableaux figuratifs, qui présentent quelques analogies avec l’hyperréalisme dans l’art étasunien. Sans omettre une touche un peu surréaliste, avec la femme à tête de canard dans Le Rodeur. Ce sont des scènes de vie, ancrées dans le réel, où des personnages masculins et féminins, souvent saisis dans des espaces intérieurs, se croisent, se parlent, travaillent, ou encore se retrouvent dans un bal. On remarquera que tous et toutes sont élégamment habillés, endimanchés. En les valorisant, Lubaina Himid rend hommage à une population noire longtemps opprimée et souvent encore sujette au mépris. Notons qu’un atelier pour enfants, dans le cadre du MCBA, vise à la sensibilisation au racisme et aux différences.
Cette exposition invite donc à la belle découverte d’une artiste sans doute inconnue de la plupart des visiteurs, qui pose donc des questions fondamentales, mais au travers d’une œuvre chromatiquement séduisante et accessible à tous et à toutes.
« Lubaina Himid. So Many Dreams », Musée cantonal des Beaux-Arts
Lausanne, jusqu’au 5 février 2023