Un voyage dans les abysses alpins
Réalisable uniquement de janvier à mars, la plongée sous glace garantit une expérience unique. Entre frissons et paysages lacustres impressionnants, plongez dans l’eau froide du lac Lioson, « La perle des lacs alpestres ».
Le soleil embrase à peine les crêtes alpines de la région des Mosses, qu’Alexia, Benoît et Manu s’activent déjà. Brisant la glace et le silence qui règne dans le vallon, les trois membres du club de plongée de Lutry Les Foulques sont chargés de vérifier et d’adapter les trous : « Nous sommes déjà en combinaison au cas où nous tomberions dans l’eau », prévient Benoît, tronçonneuse à la main. Taillées en triangle, les trois ouvertures permettront de retrouver facilement la surface depuis le monde subaquatique : « Facilement, pas si sûr », plaisante Stéphane Peterhans. « Car les plongeurs se retrouvent avec trente kilos de matériel sur le dos », détaille le président du club de plongée. « Nous devrons probablement les tirer dehors, un peu comme des phoques étourdis. D’autant plus que la glace risque de se ramollir au vu des températures annoncées », renchérit Benoît.
Balade hors du temps
Pour les givrés du lac Lioson qui n’ont pas passé la nuit au refuge, la journée débute avec un peu d’exercice. Au programme, rendez-vous au pied du Pic Chaussy pour décharger les raquettes à neige descendues par « Pollux ». Avec l’aide de son ratrack, le gardien du refuge des Marmots fait l’aller-retour afin de monter le matériel des plongeurs à 1800 mètres. La cabane étant à quelques mètres des rives du lac, « Pollux » et ses collaborateurs ont pris l’habitude de côtoyer skieurs et plongeurs : « Si notre club organise cette sortie une année sur deux, les adeptes des paysages sub-
aquatiques se pressent ici chaque hiver dès janvier », lance Stéphane.
Après une heure de montée en raquette, les membres du club Les Foulques rejoignent le restaurant de montagne. Dans le vestiaire, l’odeur de café vient se mélanger à celle du néoprène : « Nous allons plonger en combinaisons étanches. Certaines possèdent même un système de chauffage pour les longs séjours en eau froide », explique Claude Schaffter, membre du club lutryen qui sera responsable de contrôler les présences sous l’eau. Après avoir pris possession des lieux, les 19 plongeurs inscrits sont conviés à dîner. Entre la salade et les spaghettis bolognaise, Stéphane et Benoît profitent de prendre la parole pour détailler le déroulement de la journée : « Nous plongeons toujours en binôme. Pour ceux qui font leur baptême aujourd’hui, les groupes sont déjà faits, car vous devez impérativement être accompagné par une personne ayant déjà pratiqué la plongée sous plafond ». En effet, pour découvrir les merveilles cachées sous le plafond de glace, le président des Foulques ne lésine pas avec la sécurité : « Un plongeur d’un autre club a perdu la vie cet hiver au lac Taney », confiait Stéphane lors de notre première rencontre au début du mois de mars.
Monde féérique
Il faudra attendre 14 heures avant de voir les premières palmes fouler la glace. C’est Benoît et sa femme Alexia qui se jetteront les premiers à l’eau : « Ouuh, elle est froide », lance cette dernière. Malgré leurs combinaisons, les plongeurs doivent garder une partie du visage à vif pour permettre l’étanchéité du masque : « Nous devons les mouiller avant de plonger. Déjà que le contraste entre la neige et l’obscurité du lac demande un temps d’adaptation aux yeux, il ne faudrait pas que la buée du masque vienne gâcher nos efforts ». Après s’être assuré que tout va bien pour les deux aventuriers des profondeurs, l’air piégé dans leur combinaison est vidé et les voilà partis dans une autre dimension.
Sous le plafond de glace, bulles et rochers forment des structures de tous types : « Les jeux de lumière sont saisissants », racontera Grégoire quelques heures plus tard. Pour son baptême, le plongeur veveysan n’en revient pas : « Je pensais avoir un sentiment de claustrophobie, mais c’est n’est pas du tout le cas. C’est si somptueux là-dessous, que toute l’appréhension disparaît instantanément ». A chaque retour de l’eau, le constat est identique : « Je vais y retourner », déclare Marc Zumbach, plongeur – caméraman mandaté par la RTS. « C’est juste incroyable, le sujet est très photogénique », précise Pascal Magnin, réalisateur pour l’émission Passe-moi les jumelles. Trente minutes, quarante-cinq, voire une heure sous l’eau, un voyage hors norme qui illumine les visages des 19 plongeurs présents.
Le soleil, qui a réchauffé la glace et les participants tout au long de cette journée, passe à présent derrière le Pic Chaussy. Fin d’après-midi, l’eau visible uniquement par les trous se cristallise à nouveau. Pour Stéphane Peterhans, ce premier jour s’est déroulé sans encombre : « La pression commence à diminuer ». Après une soirée fondue et une nuit de repos, il sera possible pour les plongeurs de contempler à nouveau les merveilles de la Perle des lacs alpestres le lendemain. Après ce voyage suspendu, le retour à la réalité sera quant à lui plus brutal : « Nous n’avons plus qu’à redescendre pour être pris dans les embouteillages » , rigole Stéphane.
Pratique éphémère – En Suisse romande, les doigts d’une main suffisent pour compter les lieux permettant cette forme de plongée. Altitude, froid et visibilité sont des ingrédients indispensables. Si le lac de Joux se dore quasiment chaque hiver de glace, sa visibilité n’est guère comparable avec celle du lac des Préalpes vaudoises. En raison d’une algue remontant vers la surface lors de mouvement de l’eau, les plongeurs se retrouvent dans une sorte de brouillard. Appelée « sang des Bourguignons », cette cyanobactérie faisant partie du plancton teinte l’eau en rouge.
Préparation importante – Ce corps à corps avec l’eau froide demande une bonne préparation. Hormis la création des points d’entrée et de sortie sur la glace réalisée en janvier, deux séances d’information ont été mises sur pied. Responsables en cas de pépin, il s’agit pour les organisateurs d’éclairer les novices et de rappeler à chacun les dangers de cette forme de plongée. En raison d’une température d’eau à quatre degrés et d’importantes différences d’humidité entre la surface et les profondeurs, le matériel subit de fortes contraintes. L’appareil que l’on met dans la bouche pour respirer (le détendeur) peut givrer et se bloquer en position ouverte. C’est la raison pour laquelle chaque plongeur doit porter un détendeur de secours. Lors de la séance du dimanche 12 mars, Stéphane et Benoît rappellent que si la plongée sous glace est fascinante, elle peut également coûter la vie. Si le matériel doit être sélectionné et utilisé avec précaution, il est primordial de garder son sang-froid en cas d’imprévu. A l’image de l’alpinisme, il est formellement interdit de découvrir les profondeurs seul. Les plongeurs évoluent en binôme. Pour celles et ceux qui réalisent leur baptême, ils seront accompagnés par une personne ayant déjà plongé sous glace. Les trois trous sont distants de 50 mètres, cela dans le but d’éviter d’être à plus de 25 mètres d’une sortie. Sous l’eau, les points d’accès sont reliés par des cordes, appelées ligne de vie. Les plongeurs, expérimentés ou non, ne peuvent quitter des yeux ces liens avec la surface.