Savigny aura 200 ans le 17 mai
Aujourd’hui fusions des communes… Hier certaines se démembraient !
Etienne Hofmann | Depuis plusieurs années, la tendance est au regroupement de communes : « Au 1er janvier 2022, le canton de Vaud compte 300 communes. Elles étaient encore au nombre de 383 le 1er janvier 2002. Depuis, 31 projets de fusions, impliquant 112 communes, ont abouti », précise Laurent Curchod, l’un des responsables à la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes de l’Etat de Vaud. Si certains assemblages remontent au 19e siècle (Champ-vent en 1811 ; Lavey-Morcles en 1852), la plupart de ces réunions sont récentes et se manifestent dès les années 1960 (Bussy-Chardonney en 1961 ; Montreux en 1962). Puis le mouvement s’accélère surtout après l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution cantonale en 2003. Plusieurs projets sont en cours de réalisation. Le phénomène s’observe aussi dans les cantons voisins, Fribourg et Valais notamment. On ne s’étendra ici ni sur les avantages évoqués par les partisans des fusions, ni sur les réticences qu’elles provoquent parfois.
Ce qu’on ignore souvent, c’est qu’au début du 19e siècle l’inverse produisait : à la place d’une concentration, certaines communes ont préféré l’éclatement. Or cette problématique n’a pas encore fait l’objet d’une étude générale ; elle serait intéressante à plus d’un titre et permettrait de dégager les points de convergence ou les disparités d’un cas à l’autre : Quels sont les motifs évoqués par ceux qui souhaitaient la division et par ceux qui la refusaient ? Pourquoi ces démembrements se situaient-ils dans un laps de temps assez court d’une génération (1800-1830 environ) ? Quelle était la durée moyenne des tractations jusqu’au partage définitif (4 ou 5 ans, parfois davantage) ? Certains hommes politiques ont peut-être joué un rôle non négligeable : un Jules Muret par exemple, bien connu comme l’un des Pères de la Patrie, tient les rênes du Département de l’intérieur dont dépend tout le processus de partage ; quelles raisons aurait-il eu de favoriser ainsi ces scissions ? Notre connaissance d’un mouvement qui toucha, il y a deux siècles, plusieurs communes vaudoises mériterait d’être renouvelée.
Voyons quelques exemples, sans pouvoir aborder la vingtaine de cas qui se présentèrent. La première séparation eut lieu dès 1800 déjà et concerna Payerne et Corcelles ; ces deux localités faisaient alors partie du canton de Fribourg avant de revenir, en 1802, dans le giron vaudois. Sous réserve de vérification, c’est le seul exemple qui débute sous le régime unitaire de la République helvétique et se termine en 1808 sous la Médiation. Dans quelle mesure l’affaire servit-elle de modèle pour les procédures qui suivirent ? C’est ce qu’il faudrait déterminer. La carte de ces divisions révélerait qu’à l’exception de Bussy-Chardonney sur La Côte, les autres sont toutes situées plus à l’est dans le Nord vaudois, le Gros-de-Vaud, le Jorat et Lavaux. Dans cette dernière région, Saint-Saphorin éclate, de 1808 à 1811, en quatre nouvelles communes (Saint-Saphorin, Chexbres, Puidoux et Rivaz). Suivront les exemples analogues de grandes communes viticoles s’étendant des rives du lac aux Monts qui les dominent : Lutry, qui se voit privée de Savigny entre 1820 et 1825 ; Villette, qui se morcelle en six parties de 1823 à 1826 (Cully, Villette, Epesses, Riex, Grandvaux et Forel ou les Monts de Villette). Enfin Corsier qui donne naissance en 1829 à Corseaux, Jongny, Chardonne et Corsier. Il est amusant de constater, avec Villette, que certains fractionnements datant de deux siècles ont récemment abouti à des fusions : Cully, Villette, Epesses, Riex et Grandvaux se regroupent en 2011 dans la commune de Bourg-en-Lavaux. Bussy qui s’était séparée de Chardonney se retrouvent l’une et l’autre dans une grande commune de Hautemorges avec Apples, Cottens, Pampigy, Reverolle et Sévery. Dans le Jorat, Servion et Ferlens, dont la division est consommée entre 1815 et 1820, ne se remettent pas ensemble, mais la première fusionne avec Les Cullayes en 2012 ; la seconde se fond en 2016 dans la nouvelle commune de Jorat-Mézières avec Carrouge et Mézières.
Ainsi les tendances s’inversent au cours du temps ; ce que nos ancêtres jugeaient quelquefois trop grand est considéré de nos jours comme trop étriqué. L’histoire permet de relativiser les choses.
Bientôt en librairie
Etienne Hofmann, Savigny se sépare de Lutry, 1820-1825.
Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, nº 153, 2023,
sous presse, en souscription sur le site
https://www.s-a-v.org/bhv/savigny-se-separe-de-lutry/
Publié avec le soutien des communes de Savigny et de Lutry.