Savigny a 200 ans aujourd’hui
Bicentenaire de l’indépendance de Savigny
Voici exactement deux siècles, le 17 mai 1823, le Grand Conseil proclamait le détachement des Hauts de Lutry, qui devenaient une commune indépendante sous le nom de Savigny
Etienne Hofmann | A l’exception de quelques familles bourgeoises de l’endroit et des autorités municipales, peu d’habitants de cette commune savent qu’elle faisait autrefois partie de Lutry. On parlait d’ailleurs des « Monts de Lutry », pour distinguer cette contrée de la ville ou du bourg d’une part, et du vignoble d’autre part, qui s’étend autour du Châtelard, de Savuit ou de Corsy. La population à Savigny, dépassant de peu les mille âmes, y vivait chichement d’une médiocre agriculture, de l’exploitation des forêts et d’un artisanat peu développé. Les gens d’ici avaient la triste réputation d’être les plus pauvres du canton.
Savigny est devenu indépendant assez tardivement. On peut distinguer deux principales étapes : le décret du Grand Conseil dont on vient de parler et la mise en place des nouvelles autorités, dont on fêtera le bicentenaire dans deux ans le 5 mai 1825.
Dès les XIIIe et XIVe siècles, les bourgeois de Lutry ont commencé le défrichement et l’exploitation de leur territoire du Jorat. Cultures et pâturages sur les terrains de Lavaux devaient progressivement laisser la place au vignoble en expansion. Les Hauts de Lutry fournissaient le bois, le fumier et probablement la main d’œuvre nécessaires au vignoble. Il n’est pas exagéré de dire que les bourgeois du bord du lac exploitaient les Monts comme leur colonie. Un pasteur de Savigny n’a pas hésité, en 1764, à comparer ses ouailles à des serfs ! Les disparités flagrantes entre les deux régions, que la géographie, le climat et l’économie séparent, finirent par susciter le mécontentement des Savignolans. Ils supportaient de moins en moins leur pénible condition, en voyant toutes les richesses et tous les avantages profiter presque exclusivement à ceux d’en bas. Ils se sentaient exclus de la vie publique, sauf pendant une courte période, de 1798 à 1814, sous la République helvétique et la Médiation de Bonaparte : une poignée d’entre eux a pu alors participer aux prises de décision en occupant deux sièges à la Municipalité. Cet avantage ne dura pas ; dès 1815, les habitants des Monts ont la vive impression de retrouver leur déplorable situation d’antan, d’être des citoyens de seconde catégorie et les oubliés de l’administration lutryenne.
Quelques incidents, sur lesquels on a peu d’informations précises, envenimèrent encore les ressentiments qui s’étaient accumulés depuis des générations : la grave disette de 1816-1817, suite à de très mauvaises récoltes – crise qui frappe d’ailleurs toute l’Europe et une partie du monde – a creusé davantage le fossé entre riches et pauvres ; ces derniers estimèrent avoir été mal secourus ; Lutry et Villette ont refusé d’installer une horloge et une seconde cloche dans l’église de Savigny, geste qui a été très mal perçu dans la paroisse ; les plus démunis, qui ramassaient du bois morts dans les forêts communales pour se chauffer, étaient punis avec une sévérité démesurée, etc. Mais, l’élément déclencheur d’une protestation pour ainsi dire officielle, c’est le relevé cadastral qui s’effectue à partir de 1819 et se prolonge pendant deux ans. C’est très probablement en voyant le géomètre-arpenteur Mayor dresser la carte générale de la commune et relever le plan de chaque domaine, que les habitants des Monts ont mûri l’idée d’une séparation, qui avait dû germer dans l’esprit de plusieurs depuis quelque temps déjà.
En juin 1820, 177 bourgeois de Lutry domiciliés sur les Monts signèrent une sorte de pétition réclamant la séparation de Savigny. L’affaire est lancée. Elle mettra encore cinq ans avant d’aboutir, non sans récriminations de la part des gens du bas : ils estimaient que cette initiative n’était pas fondée, qu’une commune indépendante de Savigny courrait à la ruine, tant ses habitants incultes et grossiers étaient incapables de se gouverner, que les forêts seraient rapidement ravagées, que le rétablissement de la vaine pâture entraînerait la dévastation des emblavures, etc., etc. La lutte fut longue et risquée pour Savigny. Après le décret du Grand Conseil, deux années seront encore nécessaires pour régler toutes les questions administratives et financières des partages des biens communaux : forêts, vignes, immeubles, créances et dettes. Le conflit entre les deux régions s’apaise pendant qu’une commission paritaire s’attelle à ces tâches ingrates.
Ces péripéties sont racontées dans un ouvrage qui vient de paraître à l’occasion du bicentenaire (voir encadré). Il permet de rendre hommage à ces Savignolans dévoués, qui, pendant cinq ans, ont tant œuvré pour que leur région soit autonome.
En librairie
Etienne Hofmann, Savigny se sépare de Lutry, 1820-1825.
Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, nº 153, 2023,
sous presse, en souscription sur le site :
https://www.s-a-v.org/bhv/savigny-se-separe-de-lutry/
Publié avec le soutien des communes de Savigny et de Lutry.