Riche expositionsur Ferdinand Hodler et ses disciples
Musée d’art de Pully, jusqu’au 25 mai
Ferdinand Hodler (1853-1918) est assurément un géant de l’art suisse et européen. Il connut une renommée internationale, surtout dans les pays germaniques, et exerça une profonde influence sur ses contemporains. Alors qu’on aurait pu craindre une énième exposition sur ses « Eiger-Mönch-Jungfrau » (qui font par ailleurs l’objet de tableaux sublimes), le Musée d’art de Pully, conjointement avec le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, adopte un point de vue novateur et passionnant. Les deux institutions ont uni leurs efforts pour présenter parallèlement Hodler et ses disciples, en dégageant leurs points communs, mais aussi leurs différences. Car ces émules du maître ne furent nullement des « copieurs ». Par ailleurs, la présentation pulliérane met en valeur tous les aspects de l’œuvre multiforme du grand peintre bernois.
Accueilli par la photo de l’artiste en format géant, le visiteur est d’abord confronté à son célèbre Bûcheron, primitivement conçu en 1911 pour orner les billets de banque de 50 francs suisses. Avec ses pieds ancrés dans la terre, il est devenu une véritable icône nationale, symbolisant les valeurs et l’unité de la Suisse moderne issue de la Constitution radicale de 1848. Il en va de même pour les nombreuses représentations de « ceux de la terre », qui occupent la deuxième salle. Il y a là un certain paradoxe, car le nombre de paysans, au tournant des 19e et 20e siècles, était en nette diminution, du fait de l’industrialisation et des changements sociaux qu’elle a induits. Cette exaltation du monde rural reflétait une vision idéalisée de la terre et de son « authenticité ». Participent de la même perception Couple de paysans et Les Faucheurs du Neuchâtelois Gustave Jeanneret et ceux d’Abraham Hermanjat, ou encore Le Fromager de Casimir Raymond. Puis nous passons aux similitudes entre Hodler et Charles-Ferdinand Ramuz, qui lui aussi a dépeint un monde de paysans et de vignerons à la vie rude, en harmonie avec la nature. L’aspect « patriotique », voire très « viril », de l’œuvre de Hodler n’est pas occulté. Mais il faut remarquer que la représentation de son guerrier ensanglanté, en retraite après la défaite de Marignan, ne succombe nullement à une vision « héroïque » traditionnelle. Gardons-nous donc de considérer le peintre comme un conservateur, tant sur les plans politique qu’esthétique. En revanche, on a suffisamment parlé de sa misogynie envers les femmes artistes pour ne pas y revenir ici…
Témoignent de sa grande influence sur l’art suisse les salles suivantes de l’exposition, liées à sa théorie du « parallélisme », reposant en particulier sur les principes de la symétrie et de la répétition de formes et de couleurs. Elle est notamment perceptible dans ses superbes représentations d’arbres, ainsi que dans celles de ses disciples, comme Hans Emmeneger et son Cerisier en automne. C’est encore plus marqué dans les toiles montrant des perspectives d’arbres symétriques, qui offrent au visiteur une succession d’œuvres de toute beauté, à l’instar des Tilleuls dépouillés d’Alexandre Mairet. Avec cependant des différences, perceptibles notamment dans la rivière peinte plus tardivement par Félix Vallotton, La Risle près Berville (1924), bordée d’arbres aux couleurs sombres se reflétant dans l’eau, sous un ciel de noirs nuages. Les prés fleuris, qui se distinguent des bouquets plus traditionnels à la Fantin-Latour, révèlent une sorte de panthéisme. Cuno Amiet, avec Abstraction et sa prairie de dents-de-lion, s’éloigne quelque peu du réalisme de Hodler et témoigne donc de son originalité.
L’aspect symboliste de l’œuvre de Hodler apparaît bien aussi, avec ses toiles montrant de jeunes femmes nues, en lien étroit avec la nature et les fleurs, telle Symphonie d’Albert Schmidt, ce qui révèle également l’adhésion de Hodler à certains aspects de l’Art nouveau, lequel associe la féminité et la jeunesse au cycle de la nature.
Les toiles les plus connues, et sans doute les plus appréciées du public, sont celles qui montrent le Léman vu depuis Caux, où le ciel et l’eau se confondent, surmontés de nuages stylisés. Loin d’une banale illustration du lac, on confine ici à une vision universelle. Mais on trouvera aussi à Pully ses sublimes représentations de montagnes, qu’il s’agisse du modeste Grammont, face à la rive vaudoise, devenu un thème emblématique pour les peintres, ou des cimes enneigées, mises à la mode par l’essor du tourisme alpestre et des chemins de fer de montagne. Le génie de Hodler est d’avoir mis en valeur les structures rocheuses, leur monumentalité, l’impression de force minérale qu’elles donnent. Une nature d’où sont absents tout aspect anecdotique et toute figure humaine. Et là aussi, d’autres peintres s’affranchissent du maître, comme Giovanni Giacometti qui recourt au pointillisme.
Décidément, voilà une exposition qui invite à la fois à la contemplation, à la réflexion, et qui dégage l’influence profonde de Ferdinand Hodler. Celle-ci n’entrava cependant pas l’originalité stylistique de chacun de ses disciples.
« Hodler, un modèle pour l’art suisse », Musée d’art de Pully
Jusqu’au 25 mai (puis, dans une version un peu augmentée,
au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, du 22 juin au 12 octobre)