Retour vers la Piazza (et le futur de Locarno avec Giona A. Nazzaro)
Il y a un an, Locarno était devenu un petit festival de film exclusivement en salles pour les quelques cinéphiles présents physiquement, privés des belles soirées sur la Piazza Grande. Cette année, cinéphiles, anoraks et produits anti-moustiques faisaient leur grand retour devant l’écran, tous les soirs à 21h30. Si les nombreux habitués présents et démasqués - car en plein air - faisaient de ces soirées des moments dignes du monde d’avant, la programmation a, quant à elle, détonné et souvent étonné. Des choix parfois incompréhensibles, à l’image de la nouvelle décision de ne plus sous-titrer les films en français, ou de ne pas du tout sous-titrer des films italiens.
Charlyne Genoud | Les films montrés en première mondiale ou internationale concouraient pour le Variety Piazza Grande Award, un prix décerné pour la treizième fois par les critiques du magazine éponyme. Alors que les Etats-Unis étaient particulièrement présents cette année avec « Free Guy » (Shawn Levy, 2020), « Heat » (Michael Mann, 1995), « Ida Red » (John Swab, 2021), « National Lampoon’s Animal House » (John Landis, 1978), « Respect » (Liesl Tommy, 2021), et « The Terminator » (James Cameron, 1984), c’est la France qui a remporté le Variety avec Rose d’Aurélie Saada. Ce premier long-métrage de la réalisatrice qui chantait jusqu’à récemment dans le duo acclamé « Les Brigitte » raconte l’histoire d’une femme juive devenue subitement veuve, mais qui veut dépasser tant ce statut que celui de mère, cesser d’être la femme de, la mère de ou même la grand-mère de, pour être simplement femme. Et dans son épopée, Françoise Fabian qui interprète Rose fait perdre à son personnage son statut de senior condamnée à la tristesse par la mort de son mari pour en faire une resplendissante chanteuse de yiddish par instant, amante frivole à d’autres. Un film à l’image de Deux de Filipe Meneghetti, visible au cinéma d’Oron depuis hier et dont nous parlerons la semaine prochaine. Le Pardo d’oro, le prix le plus prestigieux de Locarno a, quant à lui, été décerné à Seperti Dendam, Rindu Harus Dibayar Tuntas (Vengeance is mine, all others pay cash, Edwige, 2021), une fable indonésienne sur la violence et l’amour.
L’histoire du cinéma semble particulièrement avoir fait parler d’elle cette année, tant par la section du même nom qui présentait entre-autre deux films avec Laetitia Casta suite à l’obtention de son Excellence Award Davide Campari, trois de Phil Tippet et de John Landis, des événements et projection qui rythmaient la vie au bord du lac majeur. L’histoire du cinéma a cependant particulièrement résonné avec la très belle rétrospective consacrée à Alberto Lattuada, allant de 1934 à 1989 et combinant tant de genres que de frontières franchies avec des films coproduits par la France, la Yougoslavie, les Etats-unis, l’Espagne et l’Allemagne. La série de films éclectiques et originaux, notamment par le regard posé par le réalisateur sur les rapports hommes-femmes, sera projetée à la rentrée à la cinémathèque suisse à Lausanne. Un choix éditorial marqué que de mettre à l’honneur la carrière d’un cinéaste italien méconnu, que l’on doit au nouveau directeur artistique Giona A. Nazzaro, historien du cinéma ayant écrit et dirigé des publications sur Gus Van Sant, Abel Ferrara et Spike Lee. La première édition sous sa direction a ainsi contrasté avec la 73e édition dirigée par Lili Hinstin qui avait introduit par exemple les midnight screenings pour attirer la jeunesse. Désormais, c’est la jeunesse d’un autre temps qui occupe l’écran.