Récit d’aventures
S’élever avec le Léman
Le Léman Gravel Challenge se tenait pour la première fois les 18 et 19 mai. Une épreuve cycliste à la frontière entre aventure, rencontres, défi sportif et dépassement de soi. Reportage.
Sur la ligne de départ, c’est un sentiment d’excitation et de peur qui a envahi un grand nombre de participants. Une grande partie d’entre eux goûte pour la première fois à l’ultracyclisme. Au programme, 364 kilomètres attendent les 239 inscrits pour un tour du lac d’un autre genre. Le parcours, dessiné par Clément Mahé, ancien coureur élite et aficionados des épreuves longue distance, s’annonce autant exigeant physiquement que mentalement.
Si l’ultracyclisme est une pratique de niche, la longue distance en vélo de Gravel l’est d’autant plus. Aux yeux de l’UCI (Union Cycliste Internationale), la route et le VTT sont les deux disciplines phares, bénéficiant de plus de moyens. Peu importe, pour moi, la notion d’aventure et l’aspect amical de la discipline m’ont influencé dans l’inscription à cet événement. Une sorte d’adhésion à une grande famille.
Envie d’abandonner après 10 minutes
« Have fun » nous a-t-on dit lors du coup d’envoi. Pourtant, voilà tout juste quelques minutes que je pédale, et l’idée de rejoindre mon lit douillet se fait sentir. « Qu’est-ce que je fais là ? » Il est 6h17 du matin, la fraicheur et les teintes de l’aube virevoltant entre l’orange et le fuchsia me rappellent à l’ordre : « Après tout, autant profiter de la nature et des paysages. Même si mon entraînement depuis décembre dernier ne sera pas suffisant. Les 100 premiers kilomètres m’entraineront pour les 100 suivants », me dis-je pour me rassurer. Ici, pas de place pour l’égo, il faut s’économiser et accepter de se faire dépasser, même après les premières montées.
Le parcours grimpe gentiment sur les hauteurs de Préverenges. Une sorte d’échauffement qui va rapidement se transformer en épuisement jusqu’à Genève. Une centaine de kilomètres nous séparent du premier checkpoint obligatoire au centre-ville. Même si la météo est avec nous et que le ciel offre une vue sur le Mont-Blanc digne d’une carte postale, cette première partie sera, pour moi, la plus difficile de cette première journée. Après un passage en France dans le Pays de Gex, où les relances feront grimper le rythme cardiaque plus vite que les jambes feront grimper le cycliste, le retour à la civilisation sera brutal. Trafic important, pistes cyclables pas toujours compréhensibles, suivre son GPS à la lettre sous peine d’être disqualifié, des contraintes pas simples à gérer avec quatre petites heures de sommeil. « Mais bon, je ne suis pas le seul dans cette situation ». A cet instant, la roue avant de mon vélo s’engage dans un rail et en moins de temps qu’il n’en faut, me voilà en train de voltiger. La réception sera douloureuse et me vaudra une côte froissée. « Cette fois c’est bon, j’arrête au checkpoint, je profite du ravitaillement et me réserve hôtel et restaurant pour le soir, tant pis pour ce reportage. »
La puissance des mots
Arrivé tant bien que mal au checkpoint, je retrouve un participant souffrant de mal de dos. Il m’avait dépassé vers l’Arboretum de l’Aubonne en me disant que ça n’allait pas du tout. « Mon compte y est. J’arrête là », articule ce dernier couché à même le sol. Nous discutons et je lui explique ma volonté de réaliser ce reportage et mes doutes quant à terminer ce challenge. « Prends le temps de manger et de te reposer. Tout peut encore changer pour toi », me dit-il pour me rassurer.
Après 45 minutes à manger des sucreries et des biscuits apéro en tout genre, je discute avec une certaine Lucile : « Cette partie n’était franchement pas simple », me lâche la sportive. Un échange rassurant : je ne suis donc pas le seul à souffrir, me dis-je. Visiblement moins épuisée que moi, elle repart de plus belle. L’odeur du café me chatouille le nez. Innocemment, je m’approche d’un atelier de vélo partenaire de l’événement et demande où est-il possible de boire un café dans les environs : « Tu veux un café, ne bouge pas, mais ne le dis pas aux autres », lâche Sylvain, patron de Rochat cycles. « Voilà un moment que tu es là, tu ne devrais pas te remettre en selle ? », me questionne le coureur au mal de dos.
De jour comme de nuit
C’est reparti en direction du Chablais français et de ses longues montées. La première cumule 13 kilomètres pour nous emmener au village de Saxel en Haute-Savoie. L’orage s’invite à l’événement générant son lot de perturbations. Chemins de terre presque impraticables, glissades et humidité font désormais partie du jeu. Pour les premiers, le contexte est différent, car ils sont à 1800 mètres d’altitude au sommet du col de l’Arvouin. Au-dessus de Torgon, la pluie fait chuter les températures, provoquant une hypothermie chez un participant.
Plus bas dans la vallée de Lullin, je m’engage pour une nouvelle montée, cette fois avec l’appréhension de la nuit. A la sortie d’une forêt, je croise Lucile qui engloutit une frangipane dans l’espoir de retrouver l’élan du départ : « Tu sais qu’une montée de 17 km nous attend », me questionne cette amoureuse de vélo. « Est-ce que ça t’embête si on roule ensemble durant la nuit histoire de s’encourager et de ne pas craquer ». C’est ainsi que nous avons affronté le béton, les routes de terre, les sentiers de montagne, et partagé une assiette de charcuterie et de fromage locaux.
Si nous avions espoir de rejoindre Aigle et le ravitaillement pour dormir quelques heures, la fatigue en a décidé autrement. En arrivant au village d’Abondance vers 4 heures du matin, nos têtes avaient besoin de répit. Nous décidons de dormir quelques minutes à l’abri de la pluie sous un couvert à fontaine et cachés derrière une boîte à livres. Enrobé dans une couverture de survie (légèreté oblige), j’envie Lucile qui trouve le confort de son matelas et de son sac à couchage. Une heure de repos pour dix minutes de sommeil avant de repartir.
La victoire sur la nuit
Les premières lueurs de l’aube nous aident à gravir la dernière grosse montée. Pour moi, la vue des Dents du Midi me font presque oublier les douleurs à ma côte et dans quelle galère je me suis engagé.
Retour en Suisse et en terre connue. Après Torgon, le tracé nous ramène à Aigle. Il est 9h03 quand je m’endors pour quinze minutes. Lucile n’a pas dormi et est déjà repartie pour s’acheter à manger. Dans une épreuve en autonomie comme celle-ci, la stratégie alimentaire est importante. Si transporter sa nourriture permet de donner du carburant à son corps régulièrement, cela constitue également un poids supplémentaire. Pour ma part, j’opte pour un arrêt ravitaillement à Vevey avant de rejoindre la région d’Oron.
Campagne vaudoise
La dernière « vraie » montée est celle qui rallie Vevey à Châtel-St-Denis. Pour être encore dans les clous, la ligne d’arrivée à Préverenges doit être franchie avant 18 heures. Il est 13h23 quand j’arrive à Maracon, il reste un peu plus de 50 km au compteur. « Je peux encore le faire, le plus dur est derrière. En plus, je connais la région ». Un avantage pour l’orientation, mais un inconvénient pour le mental, car quand on connait la montée sur Servion (merci aux supporters à Vuibroye) et celle de Montpreveyres, il faut mettre le poing dans la poche, ou plutôt, le mollet dans le cuissard.
Lucile me rattrape dans les bois du Jorat. « Je ne savais même pas que tu étais derrière moi », m’étonnais-je. « Allez viens, on va finir ce truc ensemble », ajoute Lucile. « Allons passer la ligne d’arrivée ». Elle terminera à la 105e place et moi à la 101e place après 35 heures de vélo. Le premier aura bouclé cette première édition du Léman Gravel Challenge en 17 heures et 15 minutes, tandis que 76 participants auront abandonné ou seront hors délai.