« Rassembler des gens de souches et d’horizons différents est un vrai projet »
Interview d’Ariane Moret, co-directrice du Théâtre du Jorat de Mézières
Institution culturelle, patrimoniale et architecturale du village de Mézières, le Théâtre du Jorat se prépare à reprendre ses droits en avril prochain, la Grange Sublime ne pouvant être chauffée en hiver. Dans l’attente de cette prochaine reprise, nous avons rencontré Ariane Moret, co-directrice du théâtre en binôme avec Nathalie Langlois, pour évoquer avec elle ce qui sera première saison complète à la tête de ce lieu unique en Suisse romande.

Ariane Moret, quel est votre sentiment à trois mois de l’ouverture de votre saison ?
Le sentiment est très positif, bien sûr, parce qu’il y a déjà quelque chose qui a été accompli : la programmation a été annoncée et on sent que ça réagit bien. Nous avons beaucoup de compliments sur les affiches et la brochure de saison, les paniers de fruits et légumes que l’on peut acheter en même temps que ses places, ce renouveau que nous avons proposé, et beaucoup de compliments également sur le choix des spectacles. On nous dit que notre programmation fait envie et ça fait plaisir ! Maintenant, il y a aussi une petite tension: aurons-nous assez de réservations ? Le public suivra-t-il ? Aimera-t-il les choix proposés ?
Quelle est la nouvelle touche de cette co-direction avec Nathalie Langlois ? Qu’est-ce qui va changer avec votre arrivée ?
On a ressenti le besoin d’amener un peu de fraîcheur dans ce théâtre qui fonctionne depuis si longtemps de la même manière, avec un public fidèle, qui se déplace depuis tant d’années. C’est juste magnifique! Notre vœu est de ne pas perdre ces précieux spectateurs et d’en toucher de nouveaux. La programmation voyage entre des artistes de renom, des valeurs sûres (internationales et romandes) et des découvertes.
Qui dit co-direction dit synergie entre les co-directrices. Comment organisez-vous la répartition des tâches ? Est-ce facile de gérer à deux la direction d’un théâtre ?
Nous avons des secteurs très distincts et des tâches conjointes. Nathalie Langlois s’occupe de la partie administrative et de l’intendance du théâtre : les chiffres, les budgets, les prix des places, les salaires, les subventions, les sponsors mais aussi de la communication… Pour ma part, je suis en charge du projet artistique. Nous nous consultons pour toutes les décisions importantes à prendre. Nous venons de mondes différents et la co-direction offre une multitude d’espaces de rencontre, à commencer par celui de la communication.

Le Théâtre du Jorat allie un côté très terroir avec une réputation et une programmation internationale. Comment gère-t-on cette dualité ?
En la cultivant ! Il faut faire de cette particularité un atout. Cette année la programmation fait le grand écart entre des propositions artistiques très différentes, toutes de grande qualité. C’est un choix assumé, une tentative de réponse à l’énorme défi que de remplir une salle de 938 places dans une commune de 3500 habitants ! Rassembler des gens de souches et d’horizons différents est un vrai projet. Moi, c’est ce qui me plaît, que des gens qui ne seraient pas habilités à se rencontrer puissent se retrouver autour d’un spectacle. J’aimerais encore développer cela et souhaiterais également voir un plus grand mélange intergénérationnel dans le public. Cette dimension du théâtre populaire me touche énormément.
Mettez-vous certaine mesure en place pour y parvenir ?
Nous venons d’obtenir un fond qui va être utilisé à rafraîchir de manière ludique le Théâtre du Jorat et à créer du lien entre les gens. Les paniers de fruits et légumes s’inscrivent dans cette démarche. Nous allons également installer une petite scène dans le jardin, afin que des chœurs locaux puissent assurer une prestation avant les spectacles. J’aimerais enfin qu’on crée un groupe de jeunes, le « Bureau des 16-25 ans », une délégation de dix jeunes représentatifs de la société, que nous les sensibilisions à la pratique du théâtre et qu’ensemble nous allions de théâtre en théâtre et qu’ils puissent choisir un spectacle pour la saison prochaine. Nous avons d’ailleurs instauré cette saison un tarif jeune avec des places à 10 francs pour les moins de 16 ans et 15 francs pour les apprenti·es et étudiant·es.
Dans cette idée d’ouvrir vos portes à un nouveau public, verriez-vous un spectacle dans votre programmation qui pourrait parler à une personne qui n’aurait pas l’habitude de venir au théâtre ?
Le premier, je pense (Cendrillon de Joël Pommerat) parce qu’il a une dimension populaire. L’histoire de Cendrillon, tout le monde la connaît. Et pourtant, le spectacle nous la fait redécouvrir, sous un angle totalement inédit. L’histoire est complètement réécrite, c’est une vraie œuvre d’art que nous propose Joël Pommerat, tant dans la forme que le fond. L’artiste se définit d’ailleurs comme créateur, ce n’est pas « juste » un metteur en scène. Il affirme et développe un univers très singulier, dans une esthétique et un langage artistique qui lui sont propres. C’est un peu comme assister à un film de David Lynch. Et je pense qu’on peut être séduit par cela.
