Pas d’atteinte à l’honneur dans « l’affaire Gaillard »
La justice a acquitté la journaliste Camille Krafft et le conseiller communal lausannois Benoît Gaillard. Ces derniers s’étaient retrouvés face au juge pour avoir traité une société immobilière de « voyou ». Une affaire qui démontre la fragilité du monde de la presse.

Les faits remontent à 2019. La société zougoise Swiss Investment Concept (actuellement Groupe Patrimoine Foncier SA) est maître d’ouvrage d’un chantier situé en plein centre de Lausanne. Face à la Tour Bel-Air, le bâtiment appartenant à la société anonyme d’outre-Sarine s’enlise derrière des barricades depuis sa mise à l’enquête en 2009. Amassant les frais de main-d’œuvre et de matériaux de construction impayés, le chantier est surnommé aujourd’hui la « Verrue de Bel-Air ». Des dysfonctionnements, le Groupe Patrimoine Foncier SA les collectionne. C’est du moins ce que révèle le quotidien 24Heures dans plusieurs articles.
Il s’agissait de nous empêcher de dénoncer des dysfonctionnements
Camille Krafft
Suite à l’interpellation déposée le 21 mai 2019 par l’élu Benoît Gaillard, la capitale vaudoise passe à la vitesse supérieure. La Municipalité, consciente des troubles sur le chantier, décide d’activer la LATC : « On va lâcher les chiens », précisait Natacha Litzistorf, municipale en charge du logement, de l’environnement et de l’architecture à Lausanne. Le jour même de la demande du conseiller communal, un article du quotidien vaudois mentionne ses propos : « La Ville a trop longtemps accordé foi aux engagements d’un propriétaire voyou ». Cette citation ainsi que l’ensemble de l’article amèneront la société immobilière à déposer plainte au Ministère public pour diffamation contre Camille Krafft et Benoît Gaillard.
Stratégie inquiétante
« L’emploi de ce terme de voyou n’était qu’un des éléments de la plainte », relève Camille Krafft. Contactée par téléphone, la journaliste fait part de la stratégie opérée par la plaignante : « La société propriétaire a déposé une plainte très large afin de maximiser ses chances de faire comparaître des gens au tribunal. Presque toutes les personnes qui s’exprimaient dans mon article ont été concernées ». Alors qu’il avait refusé d’entrer en matière dans un premier temps, le Ministère public a été forcé d’instruire une partie des éléments reprochés suite à un recours de la plaignante. Le 24 février dernier, le verdict tombe : Le Tribunal de police, estime que le mot « voyou » est un jugement de valeur et non une accusation.
Ces procédures judiciaires sont très coûteuses et certaines rédactions n’ont pas les moyens de se défendre
Du côté des syndicats défendant les droits des journalistes, le « happy end » de cette affaire constitue une victoire pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. Néanmoins, la stratégie d’intimidation opérée par la société propriétaire inquiète la fonction de journaliste : « Ces procédures judiciaires sont très coûteuses et certaines rédactions n’ont pas les moyens de se défendre. Ici, il s’agissait de nous empêcher de dénoncer des dysfonctionnements, alors que c’est l’essence même du métier », déclare Camille Krafft avant de préciser que sa profession s’est passablement durcie ces dernières années : « Il suffit d’observer l’importance qu’ont pris les services juridiques au sein des rédactions pour s’en apercevoir .»
