Kurt von Ballmoos exposé à la Galerie L’Estrée
Un grand artiste bernois célèbre la nature vaudoise
À chaque jour d’ouverture, un public nombreux se presse à Ropraz. C’est que le nom de Kurt von Ballmoos (1934-2016) est largement connu. Rappelons que, dans les années septante, il suscita un « scandale » : un juge inculte en matière d’art fit retirer d’une galerie lausannoise des œuvres de Ballmoos considérées comme pornographiques… Il est vrai que l’artiste avait un côté provocateur. À côté de son addiction au tabac, il « picolait » passablement avec ses amis. Il fréquentait donc beaucoup les bistrots, où il faisait souvent des dessins humoristiques assez cruels sur des thèmes sociaux. Voilà un premier aspect de sa création, non représenté à Ropraz.
Ici, c’est une œuvre beaucoup plus sereine que l’on peut admirer. Né dans l’Emmental bernois, Kurt von Ballmoos suivit d’abord une formation de photolithographe. Dès 1956, il se consacra totalement à son travail d’artiste peintre. Installé depuis longtemps dans le canton de Vaud, il occupa pendant trente ans l’un des fameux ateliers de la Ville de Lausanne, situés dans les anciennes écuries de Mon-Repos. Un privilège accordé aux artistes les plus talentueux.
Les œuvres présentées à L’Estrée sont entièrement consacrées à la campagne vaudoise, dont Ballmoos peint les doux vallonnements, la forêt du Jorat ou celles du Jura, mais surtout les champs labourés, avant le printemps, « hors saison », quand les mottes de terre sont encore recouvertes d’un peu de neige. Nulle présence humaine dans ses tableaux, qui invitent à la contemplation et à la méditation. Notons que l’artiste peignait en écoutant de la musique classique. À L’Estrée, un arrière-fond musical, non envahissant, nous met dans cette ambiance.
Certes, la production de Ballmoos est un peu inégale. Ici ou là, les couleurs sont trop crues à nos yeux. C’est notamment le cas de toiles tardives, où peut-être l’artiste âgé voyait sa vue baisser. Un défaut auquel l’artiste échappe cependant dans la plupart de ses huiles, et dans ses aquarelles très dépouillées. Le meilleur de son œuvre réside donc dans les toiles où il se montre le plus sobre. Ce sont des paysages sans « pittoresque », comme dans le beau tableau La Plaine d’Orbe. Relevons le fait que de nombreuses toiles ne portent pas de titre. Cela montre le fait que l’artiste ne veut en général pas peindre tel ou tel paysage bien défini, mais la nature en général, dans sa dimension philosophique voire spirituelle.
On remarquera l’attention que l’artiste prête au ciel, rarement bleu, le plus souvent nuageux ou brumeux. Il lui donne une grande place dans ses tableaux, dont certains rappellent un peu l’œuvre de Pietro Sarto. A l’étage de la galerie qui, soi-dit en passant, est un magnifique écrin pour les expositions, on observera quelques représentations d’arbres. Certains esprits mal tournés pourraient y voir des œuvres à connotation « phallique ». Auquel cas, il faudrait abattre tous les cyprès de nos cimetières…
Il y a sans doute une parenté entre les paysages de l’Emmental et ceux du « Plateau » vaudois, en fait bien vallonné malgré son nom. Deux terres agricoles riches et plutôt douces d’aspect, où ne règne aucune forte aspérité. En revenant en voiture de l’exposition, située près du bourg de Mézières, le visiteur éprouve le sentiment étrange, surtout en ce début du mois de mars où la nature est encore nue, d’être entouré par des tableaux de Kurt von Ballmoos !
« Kurt von Ballmoos. À travers les champs, peintures et aquarelles »
Galerie L’Estrée, Ropraz
Du mercredi au dimanche de 14 à 18 h, jusqu’au 26 mars