Navigation – Le Simplon, erreurs en cascade
Souvenons-nous du Simplon hurlant sa douleur contre les enrochements de la place d’Armes à Cully.
Le Conseil d’administration de la CGN nomme aussitôt quatre experts indépendants dont la tâche consiste à établir la chronologie du sinistre, les processus décisionnels, les personnes impliquées et responsables, et donc de prévenir de futurs incidents.
Le rapport de la commission d’enquête externe est émis par quatre experts. Les mandatés sont Jacques Antenen, ancien commandant de la police cantonale vaudoise et ancien juge d’instruction cantonal vaudois, Jean Pierre Mortreux, expert de justice français en transport maritime et fluvial, Christian Wahl, navigateur chevronné et neuf fois vainqueur du Bol d’Or et Luc Amiguet, ancien responsable de la sécurité de l’aéroport de Genève et consultant spécialisé en sécurité et gestion de crise.
Chronologie des faits
En raison d’un problème inattendu, l’essai de navigation du Simplon est reporté au matin du jeudi 28 mars. MétéoSuisse émet le 25 un bulletin annonçant dès jeudi un fort courant d’ouest, et un autre le 27 prévoyant une vaudaire de 6 Bf pour vendredi sur le Haut-Lac, ainsi que des rafales à 70 km/h sur le Grand-Lac pour jeudi.
Jeudi 28, le capitaine 1, annoncé pour l’essai du Simplon, se présente au chantier, mais se déclare malade et incapable de faire l’essai. Le capitaine 2 accepte la mission, mais ne consulte pas la météo avant de partir. Malgré tout, le Simplon part aux essais techniques et embarque l’équipage du Naviexpress1 dont l’essai est prévu l’après-midi. A 9h24, la machine du Simplon est stoppée pour cause de surchauffe du palier central du vilebrequin. Le bateau est à la dérive. Sur demande du capitaine 2, le bureau de la planification et le capitaine 1 décident d’envoyer le Ville-de-Genève. Le remorquage à couple débute au large de Lutry, mais en arrivant à Ouchy, un vent fort les empêche d’accéder à la gare lacustre ou au chantier. Les deux navires se touchent, causant des dégâts au Ville-de-Genève.
À 10h46, MétéoSuisse annonce un vent tempétueux sur le Haut-Lac et une situation calme pour vendredi matin. Pourtant, la décision pour Cully est prise, port protégé du vent de sud-ouest, mais très exposé à la vaudaire. Une alternative aurait été d’amener le bateau au large et de le mettre à l’ancre.
Le demi-tour se fait dans des conditions chaotiques en raison de la vague et du vent. Vers 11h37, le bureau d’exploitation, inquiet, contacte MétéoSuisse pour trouver la meilleure fenêtre météo pour ramener le bateau, déjà solidement amarré à Cully pour faire face aux intempéries annoncées.
Il est encore temps de rapatrier le Simplon, mais le directeur d’exploitation n’entre pas en matière et part faire l’essai du Naviexpress1 en compagnie du capitaine 1, pourtant malade, du directeur technique et d’un équipage rassemblé à l’improviste.
A 12h50, le bureau d’exploitation invite sa direction à mettre en place une cellule de crise. Pas de réponse. Pire, le directeur d’exploitation et le capitaine 1 maintiennent la décision de laisser le bateau à Cully pour tout le week-end, malgré un courriel du responsable opérationnel. L’essai sur le Naviexpress1 terminé, le directeur d’exploitation discute avec l’équipage du Simplon. Le capitaine 2 propose de rapatrier le bateau vendredi matin, mais la décision de le laisser à Cully est irrévocable. Au bureau des capitaines, personne ne conteste la décision de la hiérarchie. Le bureau d’exploitation reçoit même l’ordre d’organiser un remorquage le mardi 2 avril.
Pendant ce temps, MeteoNews tente à de multiples reprises de prendre contact avec la direction de la CGN, en vain.
Vendredi-Saint, tôt le matin, les conditions sont favorables à un rapatriement du Simplon. La Sagrave confirme que le pousseur/remorqueur Jolimont est disponible mais elle n’est pas sollicitée. Des collaborateurs se mettent eux aussi à disposition. Des bateaux pourraient être mobilisés.
En fin d’après-midi, la vaudaire se lève, la situation se dégrade et rend impossible l’évacuation du Simplon. Sur conseil de l’adjoint contremaître vapeur, la chaudière est vidée. Le capitaine 1 rentre de son week-end, les directions technique et d’exploitation sont informées, seul le directeur général ne répond pas.
A 21h, le directeur technique est sur place et prend le commandement du sauvetage en collaboration avec les services de secours.
Finalement, le samedi 30 mars 2024, le bateau Léman convoie avec succès le Simplon, bien abîmé.
Facteurs humains
Le but du rapport est qu’un tel incident ne se reproduise pas. On peut en douter. En effet, les facteurs humains sont déterminants.
La quasi-simultanéité des essais du Simplon et du Naviexpress1 est fort peu opportune. Le Simplon a besoin d’un temps calme pour son essai alors que l’autre de conditions difficiles pour tester sa motorisation. L’essai du Simplon n’aurait donc pas dû se faire.
En outre et selon les informations recueillies, il était inévitable qu’une surchauffe se produise sur un palier. Les spécialistes machine à vapeur ont demandé que l’essai du Simplon soit reporté, en raison de l’indisponibilité du contremaître vapeur. Sans suite. L’essai se fait avec son remplaçant.
Le capitaine 2 accepte la sortie au pied levé mais ne consulte pas la météo. Pourtant, les bateaux en essai sont armés, de sorte que les ordinateurs de bord offrent également un canal météo.
Les cadres n’ont pas suivi de formation de gestion de crise. Le processus de décision s’est déroulé sans tenir compte des propositions du bureau d’exploitation qui s’est senti fortement dévalorisé par sa hiérarchie et qui n’a jamais pu tenir une séance de coordination avec elle.
La décision unilatérale de laisser le Simplon à Cully jusqu’au mardi 2 avril, soit 6 jours, est prise dans des conditions peu propices à la réflexion par le directeur d’exploitation et le capitaine 1, tous deux à bord du Naviexpress1 pour un essai. En outre, la décision fatale a été prise beaucoup trop tôt.
Les avertissements répétés du bureau d’exploitation et les alertes de MeteoNews ont été ignorés. Les conditions météo auraient permis d’évacuer le Simplon en toute sécurité, jeudi soir ou vendredi matin, tant il y avait de personnel et de bateaux disponibles.
Un appel téléphonique d’une personne non identifiée, probablement un capitaine, critiquant la décision prise, est ignoré par le capitaine 1 avant qu’il ne quitte le chantier jeudi en fin d’après-midi.
Interpellé par une confrère, le directeur général, arrivé en 2023, confirme de ne pas déplacer le Simplon malgré l’annonce d’une forte vaudaire. Cette décision, sans prendre de renseignements supplémentaires auprès des météorologues, est coupable. On remarque aussi son absence quasi totale.
Si on admet le fait qu’un cadre dirigeant n’ait aucune formation nautique, que les copains l’ont nommé à ce poste à haute responsabilité, que d’autres ne sont à l’écoute de personne, il est évident qu’une nouvelle catastrophe est inévitable.