Maria Callas, la « diva », est née il y a cent ans
Maria Callas demeure dans les mémoires comme l’incarnation même de l’opéra au XXe siècle. Avait-elle une voix « parfaite » ? Sans doute moins classique et veloutée que celle de sa grande rivale, Renata Tebaldi. Mais une voix extraordinaire, au sens exact du terme, reconnaissable entre toutes par son timbre particulier. Et un style dramatique et passionnel qui a brisé toutes les conventions de l’opéra, jusque-là statique et non porteur d’émotion réelle. De surcroît, elle maîtrisait les langues qu’elle chantait. Elle a connu une gloire immense, mais aussi une déchéance précoce.
Sophia Cecilia Anna Maria Kalogheropoulos naît en 1923 à New York. Ses parents, récemment immigrés aux Etats-Unis, sont d’origine grecque. Son enfance se déroule dans une pénible ambiance de conflits conjugaux. Le père quittera bientôt la maison. Dans ses amours mouvementées, Maria Callas (connue sous ce nom dès 1945) recherchera d’ailleurs des hommes puissants et plus âgés, des figures paternelles. Elle est élevée par sa mère comme une enfant prodige aux talents musicaux très précoces. Evangelia fut-elle vraiment la harpie dominatrice et malfaisante qu’évoquera sa fille ? Toutes les hypothèses biographiques concernant la Callas (notamment ses « grossesses » jamais prouvées qui inspireront des textes délirants aux journalistes) doivent être prises avec précaution. Car elle ne cessera d’alimenter sa légende grâce aux médias, une attitude qui finira par se retourner contre elle.
En 1937, la mère et ses deux filles retournent en Grèce. Au Conservatoire d’Athènes, Maria, élève modèle, très travailleuse, se fait vite remarquer par ses dons exceptionnels. Elle est l’élève de l’ancienne grande cantatrice Elvira de Hidalgo, qui deviendra sa confidente. Mais la guerre survient, et en 1941 le drapeau nazi flotte sur l’Acropole. Le pays connaît la misère et la famine. Poussée par sa mère, la jeune fille chante devant des parterres d’officiers italiens et allemands, ce qui lui sera reproché après la guerre. Considérée par le milieu musical comme une « collaboratrice artistique », elle décide en 1945 de repartir aux Etats-Unis. Elle y passe deux ans, sans connaître le succès.
En 1947, elle arrive en Italie pour une prestation dans les arènes de Vérone. Elle y fait la connaissance de Giovanni Battista Meneghini, un homme d’affaires riche, qui la propulse sur la scène et commercialisera sa voix. Il deviendra son premier mari. Un mariage certes de raison, même s’il a régné entre eux une véritable complicité. Elle bénéficie des précieux conseils de Tullio Serafin, un chef d’orchestre qui a consacré toute sa vie à l’opéra. En 1948-1949, elle connaît un succès rapide. Elle restera une inoubliable Norma dans l’opéra de Bellini. Elle est capable de chanter Verdi (son interprétation sublime de Violetta dans La Traviata), mais aussi Wagner. Elle restera comme une interprète incomparable de Lucia de Lammermoor de Donizetti, notamment lorsque l’héroïne de Walter Scott sombre dans la folie. Son registre vocal est étonnant. On a dit que, si on le comparait avec des instruments de musique, cela irait du basson à la clarinette. Elle est capable de passer de graves très sombres, proches de ceux d’un baryton, à des aigus parfois (trop) stridents. En revanche son physique est alors empâté. Sur le plan psychologique, Maria Callas est un mélange d’orgueil démesuré et d’insatisfaction concernant ses prestations musicales. Les années 1950 sont celles de son triomphe sur les scènes d’opéras européennes et américaines. « Je n’ai pas de rivales – affirme-t-elle. Je n’en ai pas une seule, grâce à Dieu pour moi, et malheureusement pour l’art ! » En 1953, elle maigrit spectaculairement de 30 kilos et change son apparence physique : la provinciale gauche et mal fagotée devient une des plus belles femmes du monde, de surcroît habillée par une grande couturière, ce qui concourt à son succès.
Elle qui, en dehors du domaine musical, a peu de culture, fait une rencontre décisive, celle du célèbre cinéaste et metteur en scène de théâtre Luchino Visconti. Celui-ci modifie complètement son jeu. A ses capacités vocales, La Callas va ajouter une présence bouleversante. Sa voix exceptionnelle allie les qualités de bel canto et la puissance de soprano dramatique. A la Scala de Milan, on disait qu’il y avait deux périodes, A.C. (Avanti Callas) et D.C. (Dopo Callas) ! En 1955, elle triomphe au Metropolitan de New York. Sa revanche sur les Etats-Unis. Mais hors de la scène, elle multiplie les procès et les scandales, ce qui va concourir au désamour du public.
En 1957, Maria Callas rencontre Aristote Onassis, un richissime armateur grec mais un homme assez vulgaire, collectionneur de belles femmes. Elle éprouve pour lui une passion fulgurante. Deux ans plus tard, elle quitte assez cruellement son mari et devient la maîtresse d’Onassis. Elle fréquente la jet-set, un milieu dominé par l’argent, possède une Rolls-Royce et ne songe plus qu’à briller. En voulant être traitée en star, elle dénature son image, ce qui va, à rebours, susciter une volonté de lynchage médiatique…
Or, elle est en train de perdre sa voix, ne maîtrisant plus les aigus. On a donné à ce phénomène diverses explications médicales. Son amaigrissement trop rapide et ses nombreuses prises de rôles successives y ont sans doute aussi contribué. En 1965, elle interrompt définitivement sa carrière de tragédienne lyrique. Celle-ci s’arrête donc alors qu’elle a juste quarante ans. Sa période de gloire n’aura duré que quinze années. En 1968, Onassis épouse Jackie Kennedy, la veuve du président assassiné, et abandonne La Callas. Pour elle, c’est une terrible déchirure, alors que son aura musicale est en déclin. Le public commence à la siffler…
Ultime rencontre artistique, celle du célèbre cinéaste Pier Paolo Pasolini, avec lequel elle tourne Médée, adoptant un jeu muet quasi expressionniste. Le film n’a malheureusement pas de succès. Certes, La Callas déchue, à la voix détruite, donnera encore des récitals et des master classes. Mais sur le plan privé, elle est devenue une femme assez solitaire et amère, qui croira néanmoins jusqu’à sa mort à son retour sur scène. Son dernier amour avec son ancien partenaire Giuseppe Di Stefano, son Alfredo dans La Traviata, est un nouvel échec sentimental. Son décès, dû sans doute à une embolie pulmonaire, survient en 1977. Maria Callas n’a pas cinquante-quatre ans.
Oublions les côtés peu sympathiques du personnage. Jamais une cantatrice d’opéra n’aura connu une telle gloire, une telle ferveur de son public. Pour beaucoup, elle restera dans
l’Histoire comme la seule et unique « Diva assoluta » !
Source principale : René de Cecatty, Maria Callas
Gallimard Folio biographies 54, 2009, 365 p., ill.