Lothar, 25 ans après
Il y a 25 ans, le district se réveillait après le passage de la bombe météorologique « Lothar ». Pompiers, gardes forestiers et vignerons se souviennent.


De ce 26 décembre 1999, ils s’en souviendront longtemps. Comme beaucoup de leurs collègues et compatriotes, Marc Rod et Jean-Rémy Chevalley étaient sur le qui-vive. La tempête Lothar frappait la Suisse de plein fouet.
Jean-Rémy Chevalley est pompier volontaire. Ce matin-là, il est appelé à huit heures du matin. « On savait que ça allait arriver, mais personne ne s’attendait à une telle violence. Nous avons d’abord été appelés pour des tuiles qui s’envolaient juste à côté du cimetière de Chexbres. Mais c’était trop dangereux de monter sur les toits parce que ça glissait, et il y avait de fortes rafales, par à-coups, qui nous prenaient par surprise. Puis les alarmes se sont mises à se succéder, elles ne s’arrêtaient plus. »
A travers une grande partie du district, les tôles et les toitures s’envolent les unes après les autres. D’abord des villas, puis, plus grave, des immeubles. Chez l’agriculteur Nicolas Glauser, le toit se détache d’un bloc pour aller se poser trente mètres plus loin. Sur l’un des bâtiments locatifs de Puidoux-Gare, une toiture se retourne sur elle-même. Depuis l’intérieur, Jean-Rémy Chevalley et ses coéquipiers doivent sortir le mobilier au plus vite pour le mettre à l’abri. Sur le chantier qui longe l’autoroute, une grue s’effondre.

Enfin, juste à côté, c’est une des trois tours qui dominent la commune qui se met à trembler. « La force du vent était tellement violente que la tour s’est mise en résonance. Elle a commencé à vibrer. A l’intérieur, le bruit était insupportable. Dans les corridors, tous les plafonds suspendus tombaient, dehors, les balcons aussi. Les gens voulaient sortir évidemment, mais on devait leur faire comprendre qu’ils étaient plus en sécurité à l’intérieur. Ça a duré environ deux heures. »
La forêt pleure
Si les lignes à haute tension furent également touchées, provoquant de nombreuses pannes d’électricité, la plus grosse victime de Lothar fut quand même la forêt. Et là, ce sont les gardes forestiers, dont Marc Rod, qui ont eu du pain sur la planche. « Je venais de me casser la clavicule, ma femme était enceinte de huit mois et tout d’un coup cette catastrophe a explosé. Il était hors de question que je me porte malade, alors c’est elle qui me conduisait sur les chantiers. »
Les urgences : sécuriser les arbres qui menacent de tomber et déblayer ceux qui encombraient les routes. Mais ce n’est pas si simple et certains axes restent fermés plusieurs mois. « La masse de travail était immense, se souvient Marc Rod. Rien que sur mon secteur, j’ai dû déblayer 21’000 mètres cubes de bois. C’était approximativement deux fois et demie ce qu’on coupait sur une année, en une journée et une nuit » Il aura fallu trois ans pour remettre la forêt en état de reboisement.
Une semaine après la catastrophe, Jean-Rémy Chevalley décompte 970 heures de service rien que sur la commune de Puidoux, 80 sapeurs-pompiers volontaires se sont engagés pour gérer les dégâts.
« On avait de la chance, y avait encore 17’000 pompiers dans le canton. Ça nous avait permis de faire des tournus. Aujourd’hui il en reste 5000. »
Dans les vignes, au sud du district, l’impact fut moindre. L’enracinement des vignes et leur faible résistance au vent en hiver ont permis aux ceps de ne pas trop bouger. « C’est clair qu’en été, avec les feuilles, le raisin, la vigne sur le fil de fer est soumise à de fortes contraintes. » Vincent Chollet se souvient d’avoir travaillé toute la matinée dans une cave en tôle et entendu les murs claquer sans se rendre compte de ce qu’il se passait. Sur son domaine, une forêt a été abattue, ce qui leur permet désormais de voir le lac. « Finalement, les tempêtes hivernales ne sont pas un souci pour les vignerons. Les soucis, c’est surtout en été. »
Un Lothar silencieux
Sur les forêts endommagées, la nature reprend très vite ses droits, et d’une autre manière qu’auparavant. « Lothar a eu l’avantage de mélanger beaucoup plus les forêts. Avant, c’était principalement des épicéas. Aujourd’hui, on a créé un dynamisme qu’on ne connaissait plus. C’était un mal pour un bien. La biodiversité, petite et grande, est réapparue. Le bostryche aussi. Actuellement, on vit ce qu’on appelle un Lothar silencieux, explique Marc Rod. Il y a des bostryches partout. On n’en parle pas mais il fait autant de dégâts que lors de la tempête. Les arbres étaient faibles, ont subi des fissures, et il en a profité. Un arbre sain arrive à se défendre contre le bostryche. »
Reste à savoir si autant de moyens, financiers et personnels, seront mis en œuvre pour le combattre.
