Losanna, Svizzera
150 ans d’immigration italienne à Lausanne – Editions Favre
Monique Misiego | Ce n’est pas un roman mais un recueil de récits que je vous propose cette semaine: récits d’Italiens et d’Italiennes arrivés en Suisse dans les années 60 à 70. Cet ouvrage est toutefois compartimenté en plusieurs thèmes. Le premier : « Voyager », à savoir quitter son village, partir dans l’inconnu pour essayer de trouver de quoi vivre. Le deuxième : « Arriver », trouver un point de chute, trouver un boulot, un logement, s’installer. Le troisième : « Sympathiser » avec les Suisses, retrouver une communauté, adhérer à un parti politique, se syndicaliser, appartenir à un groupe. Le quatrième : « Rester », parce que l’on s’est marié, parce que les enfants ont grandi, ont fait leur vie, que les petits-enfants sont arrivés et que leur vie est désormais en Suisse. Il y a beaucoup de points communs dans tous ces témoignages. C’est l’appartenance à une communauté dans un premier temps, parce quand on est loin de chez soi, on a besoin de retrouver ses racines. Puis la volonté de s’intégrer, de ne pas déranger les Suisses, de se plier aux règles et usages en vigueur, pas de bruit après 22 heures, payer ce qu’on doit, exiger de ses enfants une conduite irréprochable. C’est très présent dans tous les récits de vie. Un autre des points communs qui m’a frappée, tous les témoins qui sont arrivés avant 1970 parlent de l’initiative Schwarzenbach comme quelque chose qui les a marqués et stigmatisés au plus haut point. Certains sont d’ailleurs repartis à ce moment-là en pensant que si tous les Italiens devaient retourner en Italie, il valait mieux qu’ils soient les premiers à chercher du travail. J’avais 17 ans au moment de cette initiative et je peux vous dire que le racisme était à son comble et beaucoup plus frontal que maintenant. On les traitait de piaf, de magutes et j’en passe. Certains cafés affichaient sur leur porte « Interdit aux chiens et aux Italiens ». Ils se sont tous intégrés, certains se sont naturalisés pour être encore plus assimilés, d’autres, de la génération qui a fait toutes ses études dans notre pays ont refusé l’idée de devoir payer pour obtenir la nationalité d’un pays dont ils estimaient déjà faire largement partie. Certains sont repartis, puis revenus, parce qu’étrangers ici, mais aussi étrangers là-bas. Et que quand les petits-enfants vivent en Suisse, c’est beaucoup plus difficile de vivre loin d’eux. C’est une démarche plus aisée avec les enfants parce qu’on sait qu’un jour ou l’autre ils vont quitter le nid, mais les petits-enfants, c’est quelque chose de différent, on a envie d’être le plus proche d’eux. Puis il y a les dernières générations, ceux qui ne parlent presque plus l’italien, qui vont dans leur pays plus pour visiter que pour retrouver leurs racines. C’est aussi ça la vie d’immigré, c’est tout quitter, faire sa vie ailleurs, s’acclimater, se fondre dans la masse, essayer de donner satisfaction à tout le monde, mais aussi essuyer les remarques et les surnoms racistes, les affronts, la mise à l’écart, devoir toujours prouver plus qu’un Suisse. Sans oublier que ceux qui sont arrivés les premiers devaient subir des visites médicales intrusives, passer des radios des poumons, vivre dans des cabanes de chantier au début où ils devaient s’entasser par dizaines. Et que dire du déracinement et de l’éloignement de leur famille pour ceux qui avaient déjà femme et enfants et qui n’avaient pas le droit de les faire venir. Parce que ce qu’il faut se rappeler aussi, c’est que bien des entreprises de construction se déplaçaient en Italie pour les engager. On est allé les chercher, ils ne sont pas arrivés clandestinement. Ils avaient souvent un contrat de travail avant de poser un pied sur le territoire suisse. Ces récits ont été recueillis par Emmanuelle Ryser, journaliste de formation, née à Ecublens dans les années 60 et dont les copines d’école étaient italiennes et espagnoles. Elle est aujourd’hui praticienne en récits de vie et elle anime aussi des ateliers d’écriture. La préface d’Oscar Tosato, municipal à Lausanne, lui-même fils d’immigré, ne fait que confirmer la richesse des échanges entre toutes ces populations. Je ne peux que vous conseiller ce projet de mémoire orale du Musée historique de Lausanne.