Le chant de l’entrave – épisode 2
Christiane Bonder | Un bateau sort de la grange
Avant de pouvoir entreprendre la construction, nous avions modifié certaines structures de la grange qui servait à stocker le foin, mais faisait aussi office d’écurie: transformation du système de poutraison et sol creusé de 50 cm afin d’obtenir la hauteur adéquate.
Sept ans vont passer durant lesquels deux petites fourmis travaillent patiemment dans l’ombre d’une grange où résonnent outils et machines. L’aide de copains est parfois la bienvenue, eux qui mesurent certainement mieux que nous la tâche démesurée de cette entreprise… Le bétonnage de la coque, puis celui du pont et des cabines se déroule en deux étapes avec leur précieux soutien. Nous épaulons les huit maçons professionnels engagés pour ce travail qui doit être rapidement exécuté.
Afin de sortir le bateau en le tirant sur le même niveau que celui du sol de la grange, un «chemin» est creusé sur une longueur de 20 mètres. Les points d’appui soutenant la coque ont été sciés et celle-ci repose dans un chariot en bois qui la soutient également sur les flancs. Des rondins de bois sous le chariot sont déplacés au fur et à mesure de l’avancée du bateau tiré par un tracteur. Très lentement, sans que personne ne s’énerve, le bateau sort peu à peu de la grange et trône enfin, étrange apparition en pleine campagne, sur une colline de Servion. C’est un grand jour, une étape gratifiante suite aux milliers d’heures de travail effectuées dans l’humidité constante ou le froid de l’hiver.
Le travail se poursuit à l’extérieur. Erik fixe bientôt le gouvernail et l’arbre d’hélice, leste la quille de quelque trois tonnes de plomb. Je m’occupe des couches de peinture époxy, de l’étanchéité de la ceinture en bois, de 1000 finitions… En juin 1977, le bateau est chargé sur un camion spécial pour sa mise à l’eau au port de Vidy. La coque sanglée est suspendue à une grue, nos cœurs se mettent à battre la chamade lorsqu’elle entre lentement dans l’eau… Quand le bateau se stabilise exactement sur la ligne de flottaison estimée… c’est gagné ! Hourrah !! Cet instant est fêté en brisant une bouteille de champagne sur le pont et en baptisant notre bateau «Christer», le début de nos deux prénoms.
La vie continue…
Nous vivons encore et travaillons plus d’une année dans la ferme de Servion tout en passant notre temps libre au Bouveret, notre port d’attache. En 1978 naît Olivier, notre petit moussaillon. Un mois après sa naissance, nous quittons définitivement Servion pour vivre sur Christer. Nous vendons ou donnons presque tout:
outillage, meubles, matériel de décoration, etc. Quitter l’espace d’une ferme de trois étages pour celui d’un bateau ne fut pas évident…
Bien que notre port d’attache soit au Bouveret, nous changerons souvent d’endroit puisqu’il est interdit de vivre en permanence sur son bateau. Notre nouvelle adresse postale est à Lausanne, chez ma mère.
Peu à peu, les aménagements intérieurs sont terminés ainsi que toutes les superstructures. Nos économies fondant à vue d’œil, il devient impératif d’envisager le départ vers la grande bleue. Nous allons encore en consultation chez un pédiatre sympathique, lequel rassure Olivier avant de le vacciner contre la rougeole : « Tu vas en voir des pays, tu as de la chance mon petit ! Ici, la rougeole n’est rien, mais sous les tropiques, elle ne pardonne pas… alors, je pique ! »