Le bal des folles
Victoria Mas – Editions Albin Michel
Monique Misiego | C’est un premier roman pour Victoria Mas. Mais quelle réussite! Il va être difficile de faire mieux! Ce roman est tout simplement passionnant quoique remuant par son contexte historique. Si on est un tant soit peu féministe, on ne peut être que révoltée par ce récit. Si on s’émeut d’un patriarcat omniprésent de nos jours, ce qui n’est pas contestable en soi, toute domination masculine doit cesser, que dire du dix-neuvième siècle où les pères, les maris, les frères avaient droit de vie ou de mort sur les femmes, pouvaient les enfermer à vie pour la moindre opinion non conforme, pour le moindre écart de conduite tel un adultère par exemple ? L’action se passe à la Salpêtrière, hôpital parisien. Entre l’asile et la prison, on y internait ce que Paris ne savait pas gérer, les malades et les femmes. Des médecins un peu plus appliqués que les autres prirent en charge le service de celles qu’on ne se lassait pas de nommer les folles. Des avancées médicales émergèrent. Cet hôpital devint un lieu de soins et de travaux neurologiques. Une toute nouvelle catégorie d’internées se forma dans différents secteurs: on les nomma hystériques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les expérimentations sur leurs corps n’avaient pas de limites. Les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie; l’introduction d’un fer chaud dans l’utérus réduisait les symptômes cliniques, les psychotropes calmaient les nerfs des filles: l’application de métaux divers sur les membres paralysés avaient de réels effets bénéfiques. Ça vous choque? Et encore, ce n’est qu’un passage. Au milieu de cet asile de folles trône le Dr Charcot, qui pratique l’hypnose sur ses patientes, devant un public de 400 personnes tous les vendredis. Bonjour le respect du patient et l’intimité! Les folles n’effrayaient plus, elles fascinaient, suscitaient parfois le désir. Un bal était organisé chaque année dans le service. Le bal des folles. A la mi-carême. Où le tout Paris se précipitait, pour observer de plus près ces hystériques, voir un geste, un tic, une grimace, croiser une nymphomane, se rincer l’œil à moindre prix. Du côté de folles, il régnait, plusieurs semaines avant, une joyeuse ambiance. On ressortait les costumes et accessoires, chacune en choisissait un, il y avait quelques jalousies, mais toutes se réjouissaient d’un regard, d’un sourire, d’une caresse, un compliment, une promesse, une aide, une délivrance. Parce que ces femmes étaient totalement abandonnées par ces mêmes hommes qui les avaient internées. Plus aucun ne se manifestait, jamais. On n’en parlait plus dans les familles, rayées de la carte, reniées, même si elles étaient devenues étranges à la suite d’un viol par exemple. Double punition! Ce livre ne nous laisse pas indemne. Il est bouleversant, mais aussi émouvant parfois. Je n’ai même pas envie de vous décrire les personnages, je préfère que vous les découvriez par vous-mêmes. Vous y suivrez le destin de plusieurs femmes, toutes internées par des hommes ou à cause des hommes. Mais il en ressort une solidarité féminine qui n’est pas un vain mot. Et le dénouement de l’histoire est surprenant. Victoria Mas signe là son premier roman à l’âge de 31 ans. Elle est encensée par la critique. Je n’ai pas trouvé de critique négative. C’est un livre en l’honneur des femmes et ça fait beaucoup de bien. Et contrairement à tout ce que j’ai mentionné plus haut, il y a aussi des bons moments, hors du temps. Je ne serais pas étonnée du tout qu’on en fasse un film très prochainement. C’est un chef-d’œuvre. Je terminerai par une citation de l’auteur: «La folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes: les hommes l’exercent sur les autres, les femmes sur elles-mêmes».