Lavaux – Pourquoi les événements d’ultra-cyclisme connaissent-ils un succès sans précédent ?
Mélangeant effort physique, mental d’acier et aventure en pleine nature, le bikepacking, ou l’ultra-cyclisme, rencontre une popularité sans précédent. Entretien avec les organisateurs du premier Léman Gravel Challenge (LGC), un défi sportif de 340 kilomètres qui annonce déjà complet.
Loin de l’image des courses cyclistes où le parcours est ouvert par une horde de motards, où pléthore de coureurs se battent pour le chronomètre, ici, c’est l’expérience qui est au centre des préoccupations. Durant le week-end de Pentecôte, pas question de se pavaner au soleil pour les 200 participants du Léman Gravel Challenge. Au programme : 341 kilomètres en deux jours et 6800 mètres de dénivelé positif avec, en toile de fond, le Léman et les montagnes qui l’entourent.
Après le départ à Préverenges, direction les petites chemins et autres routes secondaires pour rejoindre l’extrémité du lac et le premier check-point à Genève. Les cyclistes devront gravir le Chablais français et les montagnes savoyardes pour rallier la Suisse par la région de Torgon. La moitié du Léman étant derrière, il s’agira alors de s’annoncer au deuxième check-point à Aigle avant de traverser la Riviera pour grimper sur Châtel-St-Denis. Mais pour boucler la boucle à Préverenges, les coureurs devront traverser la campagne d’Oron et du Jorat. Un tracé exigeant qui promet un mal de jambe certain, d’autant plus que la majeure partie du parcours se fait sur des chemins
caillouteux avec des vélos de route aux pneus renforcés, plus communément appelés Gravel bike.
Mais alors, pourquoi subir de telles contraintes ? Pourquoi souffrir à ce point alors que l’on pourrait se balader tranquille le long des rives du Léman ? Pourquoi ne pas utiliser un Mountain bike ? Quelles ont été les difficultés pour mettre sur pied cet événement ? Nous avons posé toutes ces questions à Linda Farczadi et Philippe Béchet, habitants de Lutry et organisateurs de cette première course officielle de Gravel bike dans la région.
Le Courrier : Comment avez-vous été amenés à pratiquer le
Gravel bike ?
Linda Farczadi : Cette pratique était encore méconnue en Europe il y a dix ans. Le Gravel a vu le jour aux Etats-Unis dans les années 80. Pour nous, il s’agit d’une sorte de retour aux sources du vélo, voire même d’un mode de vie, où simplicité rime avec contemplation des paysages et où l’on voyage uniquement avec le matériel nécessaire. Pour moi, c’est une sorte de méditation. Sur un vélo, je ne pense à rien d’autre, cela fait un bien fou pour la tête.
Philippe Béchet : Les vélos de Gravel mélangent la pratique du vélo de route et celle du VTT. On se rapproche du cyclo-cross mais avec une vision différente. Une approche moins axée performance, mais plus centrée sur le partage et les souvenirs. En gros, ces vélos hybrides permettent de continuer là où la route s’arrête pour découvrir d’autres horizons.
Le Courrier : Pourquoi descendre de votre vélo pour créer le Léman Gravel Challenge ?
LF : Nous participons régulièrement à des challenges similaires ailleurs dans le monde. Souvent, ce sont des cyclistes qui organisent des événements et non des comités d’organisation importants. Nous avons le sentiment d’être invités chez eux. Cela apporte un côté familial que nous avons voulu reproduire ici.
PB : Lors de ces épreuves de Gravel, on rencontre beaucoup de monde. Pour nous, il s’agit aussi de réunir ces personnes du monde entier pour qu’elles découvrent la beauté de notre région.
Le Courrier : Le parcours du Léman Gravel Challenge emprunte des chemins de terre techniques, pourquoi ne pas privilégier le VTT ?
PB : La création du tracé ne vient pas de nous, mais de Clément Mahé, mécanicien au magasin Rochat Cycles à Aubonne et cycliste passionné.
LF : C’est lui qui a eu cette idée du tour du lac off-road. Finalement, nous n’avons fait que d’officialiser l’événement. Dans le règlement de notre course, il n’y pas d’obligation d’utiliser un vélo de Gravel. Les participants peuvent par exemple prendre le départ avec un VTT, et il y en aura, j’en suis sûre. Notre seule restriction est que
les vélos à assistance électrique sont interdits.
Le Courrier : Les 200 dossards disponibles ont rapidement trouvé preneur. Pourquoi ne pas avoir augmenté le nombre de participants ?
LF : C’est une sorte d’équilibre entre rencontre d’autres coureurs le long du parcours et logistique modeste. Chaque participant doit gérer son sommeil. Ils peuvent bivouaquer sur le
bas-côté d’un chemin ou dormir dans une chambre d’hôtel.
PB : Si tous les sites d’hébergements sont complets parce que 500 sportifs cherchent où se reposer le même soir, on imagine la galère. Du point de vue sécuritaire, le plan sanitaire reste le même.
Le Courrier : Pourquoi partir
de Préverenges et non de Saint-Saphorin par exemple ?
PB : Nous avons joué le jeu de créer un événement officiel. Il a fallu annoncer notre challenge à chaque commune, au canton et à la police. Etant donné que cette pratique est méconnue, cela n’a pas toujours été facile de convaincre les administrations, qui avaient peur de devoir fermer des routes ou d’être responsables en cas de pépins. En plus, vu qu’il s’agit d’une première, c’est encore abstrait et les gens ne voient pas la valeur que cela peut avoir sur leur commune d’accueillir des personnes venant du monde entier. Alors quand nous avons appris que la commune de Préverenges a accepté que le départ et que l’arrivée se tiennent sur ses terres, nous n’avons pas fait la fine bouche.
Le Gravel est un sport de niche. Alors l’ultra-cyclisme est la niche de la niche, pourtant, les événements rencontrent le même succès partout dans le monde.
LF : Officialiser le LGC a clairement été le plus complexe dans l’organisation. La plupart des courses d’ultra-cyclisme ne suivent pas un parcours précis et s’apparentent plus à une grande sortie entre amis. Cela facilite le travail des organisateurs et ajoute encore un peu d’autonomie pour les coureurs, qui doivent rejoindre un point A à un point B. Sans parler du faite qu’il n’y a pas besoin d’établir de plan médical.
Le Courrier : Les participants ont une grande part d’autonomie pour effectuer les 341 kilomètres du LGC, comment vérifier
le respect du parcours ?
LF : Chaque cycliste sera équipé d’un tracker. Ils devront également s’annoncer aux deux check-points. Ils devront aussi trouver des points d’eau et se fournir en nourriture partout où cela est possible.
PB : Nous estimons qu’environ 50 % des coureurs vont abandonner. D’autres adapteront le parcours pour raccourcir le tracé. Mais le but est
de revenir au point de départ.
Une sécurité qui blesse les petits événements
Le Tour du Pays de Vaud (TPV) l’a annoncé récemment : les coûts liés à la sécurité ont contribué à l’annulation de l’édition 2024. Cet événement cycliste réservé aux juniors de 17 à 18 ans leur offre l’opportunité de disputer une course par étape. A l’image du Tour de Romandie ou du Tour de France, qui avait même été remporté par Tadej Pogačar et Jonas Vingegaard, deux coureurs ayant participé au TPV.
Des contraintes sécuritaires qui ont bien failli mettre en péril la première édition du Léman Gravel Challenge, puisque le canton de Vaud n’a pas autorisé la première version de la course : « Initialement, nous n’avons pas réussi a présenter un concept acceptable part le canton », détaille Philippe Béchet à la fin du mois d’avril. « Nous avons dû revoir le concept médical avec la présence de professionnels de la santé. Ce dispositif représente presque l’entier de nos recettes. Mais nous sommes contents de ne pas devoir annuler et que notre concept a été validé par les autorités cantonales. »