La petite histoire des mots – (Y’en a) marre
La chronique de Georges Pop

Y’en a marre ! » ; « ras-le-bol ! » ; « ras-le-c… ! » ; « scandaleux ! », etc. Sur les réseaux sociaux ou dans la presse, les Suisses romands, à commencer par les Vaudois, particulièrement rudoyés, ont laissé éclater leur colère et leur exaspération après l’annonce, la semaine dernière, d’une nouvelle hausse, pour le moins substantielle, des primes maladie. L’interjection « y’en a marre ! », qui remonterait à la fin du XIXe siècle, est l’une de celles qui fut le plus largement utilisée dans un registre « courtois », pour exprimer sa fureur et son dégoût, certaines autres étant trop grossières pour être citées.
Le mot « marre » est pour le moins étrange et son origine fait l’objet de controverses et d’explications diverses, les linguistes n’arrivant pas à se mettre d’’accord sur son étymologie précise. Certains le font remonter au terme « marrement » qui, à la fin du Moyen-Âge, signifiait « tristesse » ou « chagrin ». D’autres l’associent au substantif « marance », qui définissait une forme d’accablement, mais aussi une faute légère, à peu près à la même époque ; ou encore à « marrissement », qui s’employait dans le sens de « déplaisir » jusqu’au XVIe siècle.
Le « Trésor de la langue française », un dictionnaire rédigé aux XIXe et XXe siècles, imprimé en seize volumes, et dont le contenu est désormais disponible en ligne, propose encore une autre explication : le mot « marre » serait issu du verbe « se marer » qui signifiait jadis « s’ennuyer ». Par antiphrase, ce terme nous a donné l’expression « se marrer » dans le sens de « se bidonner ». Pour mémoire, l’antiphrase est une figure de style qui consiste à employer un mot ou une expression dans un sens contraire à sa signification première, le plus souvent par dérision. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on dit, avec une moue de contrariété, « je suis ravi », pour exprimer ironiquement son agacement.
L’explication la plus plausible, cependant, est peut-être bien celle du linguiste et écrivain Alain Rey, récemment décédé, qui fut l’un des co-fondateurs du dictionnaire « Le Robert ». Selon lui le mot « marre » serait issu de « mar » qui, à l’origine, désignait un « jeton » ou un « gage ». Au XIXe siècle, en argot, l’expression « avoir son mar » signifiait « en avoir pour son compte ».
Pour conclure, notons encore que l’expression « ras-le-bol » est apparue au milieu du siècle dernier, lorsque le mot « bol », toujours en argot, a remplacé le mot « cul » dont il est synonyme dans le langage commun. Quel rapport entre un récipient et un postérieur ? On évoque généralement l’association d’idée entre la forme hémisphérique du bol et celle d’une croupe bien rebondie ; laquelle, lorsqu’elle est trop remplie, ne peut plus rien contenir, au risque de déborder brusquement… N’en déplaise aux assureurs !