La petite histoire des mots
Cinglé
Alors qu’approche la date de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, l’ex-président Donald Trump, qui n’est jamais à court d’une injure, s’en est pris une nouvelle fois à sa rivale démocrate, la vice-présidente Kamala Harris, en lançant contre elle des attaques verbales d’une rare violence. Le milliardaire l’a notamment qualifiée de « cinglée de la gauche radicale » et de « folle ».
L’adjectif « cinglé » est un synonyme de « fou ». Il désigne une personne mentalement dérangée tout comme les adjectifs « dingue », « zinzin », « timbré », « fada », etc. Il est dérivé du verbe « cingler » qui a une double origine, deux sens bien distincts, et originellement deux orthographes qui ont fini par se confondre.
Dans le premier cas, en vocabulaire maritime, « cingler » signifie « faire voile dans une direction » et, par extension, « parcourir l’espace » ou encore « filer à toute vitesse ». Ce verbe est issu du vieux français « sigler », qui avait le même sens, lui-même dérivé du vieux norrois, la langue des anciens scandinaves « segl » qui veut dire « voile ».
Il est clairement apparenté à l’allemand « Segel » qui désigne une voile. Dans la langue de Goethe un voilier se dit « Segelschiff ». Jusqu’au XVIe siècle, en vieux français, ce verbe s’écrivait « singler » avant de changer d’orthographe, sans raison apparente, manifestement à la suite d’une confusion.
Dans le second cas – celui qui nous intéresse -, « cingler » signifie « fouetter », « frapper » ou « cravacher ». Ce verbe, homonyme du précédent, est issu du latin « cingulum » qui désigne une sangle ou une ceinture.
Dès le XIIe, siècle on le trouve dans la littérature dans le sens de « frapper avec une verge flexible ». En ce temps-là, l’adjectif « chinglant » ou « cinglant » voulait dire « souple » ou « flexible ». Il prendra progressivement le sens de « piquant » ou « blessant ». Au XVIIIe siècle, « cingler » fut aussi utilisé pour désigner les coups du vent, de la pluie ou de la neige.
C’est un siècle plus tard que l’adjectif « cinglé » apparut dans le langage populaire pour désigner les ivrognes violents qui frappaient les clients des tavernes. A cette époque, en argot, l’expression « se cingler le blair » signifiait d’ailleurs s’enivrer. Il est amusant de noter en passant, qu’en argot, le mot « blair » désigne le nez. Il s’agit d’un apocope (une abréviation) du mot « blaireau ».
On terminera sur ce bon mot du romancier, poète et dramaturge français Raymond Queneau : « Il n’y a rien de tel pour vous donner du génie que d’avoir un oncle cinglé ou une grand-mère cinoque ».