La petite histoire des mots
Procrastination
A plus d’une reprise, au cours de ces dernières semaines, le président français Emmanuel Macron a été accusé, par la presse ou par ses adversaires politiques, de « procrastination » dans le choix d’un nouveau premier ministre. Ce terme d’apparence alambiquée, utilisé le plus souvent dans un sens ironique, désigne une tendance chronique à différer ou à remettre au lendemain une décision ou l’exécution d’une tâche.
Le mot « procrastination », ainsi que le verbe « procrastiner » (ajourner) et le substantif « procrastinateur » (un individu qui procrastine) sont, il est vrai, d’un usage rare dans le langage courant. Ils apparaissent cependant régulièrement sur les réseaux sociaux. Tous sont issus du latin « procrastinatio », composé de « pro » (devant) et « crastinus » (relatif au lendemain) qui avait exactement le même sens (ajournement, remise, délai, etc.). Ils partagent également l’étymologie du grec « akrasia » qui désigne le fait d’ « agir à l’encontre son meilleur jugement ».
En français, « procrastination » fit une apparition discrète au XVIe siècle, avant de pratiquement disparaitre. Il ressurgit cependant et redevint à la mode trois siècles plus tard, notamment sous l’influence de l’anglais qui l’avait antérieurement emprunté à notre langue. Dans son roman « La Prisonnière », cinquième tome d’ « A la recherche du temps perdu », Marcel Proust l’évoque en ces termes : « (…) cette habitude vieille de tant d’années, de l’ajournement perpétuel, de ce que M. de Charlus flétrissait sous le nom de procrastination (…). »
Les causes psychologiques de la procrastination sont toujours débattues. Pour Freud, la procrastination est un problème lié à un manque de confiance en soi : c’est la crainte de l’échec qui entrave l’action. Pour d’autres experts, c’est au contraire l’excès de confiance qui explique la procrastination, le procrastinateur ne se mettant au travail à la dernière minute, surestimant ses capacités. Pour l’auteur de ces lignes, qui procrastine régulièrement, inutile de chercher trop loin : c’est tout simplement la flemme qui explique ce comportement.
Que les procrastinateurs qui culpabilisent se rassurent. Ils sont en bonne compagnie. Parmi leurs pareils les plus célèbres figurent Léonard de Vinci, connu pour ses nombreuses œuvres inachevées. Incapable de se concentrer sur une seule tâche, il sautillait d’un projet à l’autre ; Isaac Newton, le « père » de la gravité, qui avait une tendance maladive à reporter ses travaux jusqu’à la dernière minute ou encore Victor Hugo qui devait régulièrement travailler la nuit pour tenir ses délais et rattraper le temps perdu.
Terminons par ce proverbe espagnol qui stigmatise avec douceur et bon sens cette propension que bon nombre d’entre nous avons à remettre les choses à plus tard : « Demain est souvent le jour le plus chargé de la semaine ».