La petite histoire des mots
Bouchon
Comme chaque fois que des automobilistes prennent massivement la route pour jouir de leurs congés, le week-end de la Pentecôte a connu son lot de bouchons, exaspérants pour les conducteurs et leurs passagers. Celui du Gothard, par exemple, a par moments atteint plus de 20 km.
L’emploi figuré du mot « bouchon » pour désigner un grand nombre de véhicules engorgeant la circulation est relativement récent, puisqu’il date des années cinquante. Avant de passer à cette simplification, on disait – et on dit encore – « embouteillage ». Au début du XXe siècle, dans le jargon de la marine de guerre, le verbe « embouteiller » prit le sens d’ « enfermer ». On cherchait alors à « embouteiller » une flotte ennemie dans le but de la détruire. Avec la croissance du trafic automobile, l’expression est passée de la mer à la route.
Le mot « bouchon », qui est utilisé pour toute une série d’objets qui servent à « boucher », les bouteilles par exemple, nous vient quant à lui de beaucoup plus loin. En vieux français, une « bousche » désignait une poignée de paille, comme celle qu’on utilise encore pour « bouchonner » un cheval. Au XIVe siècle, des « bouchons » de chanvre tortillées étaient utilisés pour obturer les tonneaux. En ce temps-là, on appelait aussi « bouchon » les tavernes qui posaient des bottes de feuillage placées au-dessus de leur porte pour signifier à leurs clients qu’on pouvait y boire du vin. Aujourd’hui, un « bouchon » est toujours un petit restaurant typique de la région lyonnaise.
Le bouchon de liège, tel qu’on le connaît de nos jours, fut inventé dans l’Antiquité pour fermer les amphores grecques et romaines contenant du vin ou de l’huile d’olive. Il était appelé « phellós » chez les Grecs qui utilisaient aussi ce terme pour nommer ironiquement les imbéciles. D’ailleurs de nos jours, « être bouché » signifie également « être idiot ». Pendant tout le Moyen-Âge et les siècles qui suivirent, à cause du l’utilisation généralisée des tonneaux en bois, le bouchon de liège fut pratiquement abandonné. Il fut réintroduit au XVIIe siècle, avec l’apparition de bouteilles en verre, et prit naturellement le nom de ses prédécesseurs de paille, de chanvre ou de bois. C’est lui qui parfois donne au vin le « goût de bouchon ».
L’expression « mon petit bouchon » désigne quelqu’un que l’on aime bien, souvent un enfant. Ce sens affectueux est déjà attesté au XVIIe siècle, notamment dans un texte de Molière. Quant à l’expression « pousser le bouchon trop loin », qui signifie dépasser les bornes, elle aurait pour origine un jeu datant du début du XIXe siècle, qui consistait à abattre avec un palet des bouchons surmontés de pièces de monnaie.
Relevons enfin que c’est un homme de Dieu, le révérend anglais Samuel Henshall, qui le premier déposa un brevet pour l’invention du tire-bouchon, en 1795. Il s’agissait d’une simple mèche vrillée, inspirée d’un tire-balles, surmontée d’un manche en bois. Ce petit instrument se révéla si efficace pour épargner les fragiles goulots qu’il fut diffusé dans le monde entier, et utilisé pendant plus d’un siècle.