La petite histoire des mots
« Black bloc »
Ces derniers jours, en France, les manifestations contre la réforme des retraites ont pris parfois une tournure violente, en raison de la présence de « black blocs » déterminés, selon les forces de l’ordre, à affronter la police, briser des vitrines, incendier des voitures et saccager le mobilier urbain, symboles d’un capitalisme qu’ils abhorrent. L’expression « black bloc » ne désigne pas une mouvance structurée et hiérarchisée, mais le rassemblement éphémère et souvent violent d’autonomes, généralement d’extrême-gauche, d’anarchistes ou d’écologistes radicaux, vêtus de noir, masqués et couramment bien armés.
Ce terme anglais, désormais passé dans la langue française, est en réalité une traduction de l’allemand « Schwarzer Block » (littéralement « bloc noir »). La police de Berlin Ouest a, semble-t-il, été la première à l’avoir utilisé, en 1980. Elle a ainsi nommé les groupes d’activistes anticapitalistes qu’elle affrontait pour les expulser des squats qu’ils occupaient illégalement, constatant qu’ils manœuvraient en bloc compact pour l’attaquer, tout en se protégeant mutuellement.
Selon certains politologues, ces premiers « black blocs » allemands se seraient inspirés des méthodes des militants du mouvement italien « Autonomia », apparu dans la péninsule dans les années 1960. Leur tactique de bloc aurait été imaginée non pas par des éléments issus de milieux défavorisés, mais par des étudiants marxisants appartenant à la grande bourgeoisie ; raison pour laquelle on les présente régulièrement, parfois à tort, comme des « petits bourgeois venus casser du flic ». En France, ces derniers jours, certains ont même été qualifiés de « black bourges ».
La tactique du « black bloc » s’est exportée aux Etats-Unis dans les années 1990, à l’occasion, notamment, de manifestations contre la première guerre du Golfe. Elle fit ensuite un retour fracassant en Europe, lors du sommet du G8 à Gênes, en 2001, puis en 2003, lors du sommet du G8 à Evian-les-Bains, lorsque les « black blocs » affrontèrent violemment la police à Lausanne et surtout à Genève. Les autorités genevoises, qui pensaient avoir tout prévu, furent surprises par les émeutiers qui organisèrent un raid éclair dans le centre-ville, brisant les vitrines et commettant des pillages.
En Suisse, un peu aléatoirement, on estime de nos jours à quelque deux mille le nombre des militants ultras d’extrême-gauche pouvant ponctuellement s’associer aux « black blocs ». Certains auraient d’ailleurs été identifiés lors des violences autour des méga bassines de Sainte-Soline, en France, le 25 mars dernier.
Il a deux ans, la commission d’enrichissement de la langue française, qui travaille en accord avec l’Académie, a proposé de remplacer « black bloc » par « bloc noir », pour désigner en bon français ces groupes de manifestants cagoulés, tout de noir vêtus. La proposition n’a pas eu l’effet attendu par ses promoteurs. Le franglais, tout comme le « black bloc », a manifestement la vie dure…