La petite histoire des mots
Banqueroute

Apparemment, plus de force que de gré, sous la pression du Conseil fédéral et de la Banque nationale suisse, l’UBS a avalé en une bouchée le Crédit Suisse pour lui éviter une banqueroute aux effets désastreux à l’échelle internationale. La pesante digestion étant en cours, il est trop tôt pour en estimer l’issue. Mais restons optimistes et, en attendant, voyons d’où nous vient le mot « banqueroute » qui est synonyme de faillite et qui est clairement affilié au mot « banque ».
Autrefois orthographié « Bancqueroute », ce terme est apparu en français dès le milieu du XVe siècle, pour désigner la cessation de paiement de la part d’un négociant devenu insolvable. L’expression découle de l’italien « banca rotta » ou « bacarotta » qui veut dire « banc cassé ». Dans l’Italie de la Renaissance, lorsqu’un commerçant faisait faillite, on cassait le banc, en fait la table, que ce commerçant disposait sur les marchés. Tout comme les marchands, les banquiers lombards de la Renaissance étaient présents sur les marchés, derrière leurs tables.
Déjà dans les cités grecques antiques, qui avaient chacune leur monnaie, les changeurs, l’équivalent de nos banquiers, étaient installés devant des tables sur les places des marchés. En grec, le mot « trapeza », qui veut dire « banque » désignait aussi, à l’origine, la table de ces agents de change. Ces tables, le plus souvent de simples planches posées sur des trépieds, dont la Bible nous dit que Jésus les renversa en chassant les marchands du Temple, vont se perpétuer durant tout le Moyen-Âge et jusqu’à la Renaissance.
Ce sont ces « bancs » de comptoir, appelées « banca » en italien qui vont nous donner, le mot « banque ».
Il est cocasse de noter que les mots « banquier » et « saltimbanque », ce dernier terme désignant un bateleur qui débite des boniments sur la place publique, sont intimement affiliés. En italien l’expression « salto in banco » veut dire sauter sur un banc ou sur un tréteau, allusion aux sautillements et au baratin des amuseurs et autre « banquistes » (forains) de jadis. On sait aujourd’hui que certains banquiers peuvent aussi, sous couvert de jargon financier, être de fieffés baratineurs, voire de sacrés menteurs. Les clients du Crédit Suisse auront bien du mal à le nier.
Curieusement, le mot « faillite », contemporain de « banqueroute », à quelques décennies près, nous vient lui-aussi de l’italien. Il est dérivé de « fallito » qui signifie « manqué » ou « raté ».
Terminons par cette citation, dont les irréfléchis gestionnaires du Crédit Suisse ne se sont manifestement pas inspirés. Elle est de la plume du grand Goethe, poète certes, mais aussi scientifique, théoricien de l’art et homme d’Etat de la ville libre de Francfort : « Une activité sans bornes, de quelque nature qu’elle soit, finit toujours par faire banqueroute ».