La petite histoire des mots
Satanique (Satan)
Georges Pop | Depuis quelques semaines, certains commentateurs de la télévision russes parlent de l’« Occident satanique » pour dénoncer l’aide, militaire notamment, que les démocraties accordent à l’Ukraine. Le qualificatif « satanique » semble même progressivement prendre la place de l’adjectif « nazi », utilisé jusqu’à maintenant pour étiqueter l’Ukraine et les pays qui la soutiennent. Par opposition à ces « empires du mal », le patriarche orthodoxe russe Kirill déclare même, à qui veut l’entendre, que c’est Dieu qui a placé Vladimir Poutine au pouvoir.
L’adjectif « satanique », synonyme de « diabolique », est bien évidemment dérivé de « Satan », le nom du malfaisant prince des démons qui incarne le mal et la tentation. Le verbe « śātan » apparaît d’abord dans certains textes sacrés hébraïques. Son sens initial reste cependant incertain. Peut-être voulait-il dire « être un adversaire » ou « accuser ». Plus tard, ce terme revint dans l’Ancien Testament pour désigner des créatures célestes. Mais ce n’est que dans la littérature juive de l’époque hellénistique, vers la fin du IVe siècle av. J.-C, que « Satan » devint le nom propre d’un démon.
Plus tard, « Satan » est mentionné en grec, sous le nom de « Satán », dans les Evangiles. Jésus le qualifie de « prince de ce monde ». Il est alors identifié comme le maître des anges déchus, bannis du Paradis pour s’être rebellé contre Dieu. Les premiers chrétiens l’ont curieusement identifié à Lucifer ; un nom qui en latin signifie « porteur de lumière », composé de « lux » (lumière) et « ferre » (porter), et que les Romains réservaient à certaines divinités sensées apporter la clarté. Satan fut aussi assimilé au Serpent de la Genèse ou encore à Belzébuth, alias Baal-Zébub, le dieu Baal des Phéniciens et des Carthaginois. Dans l’Islam, qui s’est beaucoup inspiré du judaïsme et du christianisme, Satan a pris le nom de « Sheitan ».
La célèbre formule « Vade retro satana », qui peut se traduire par « Recule, Satan », réunit les premiers mots d’une exhortation utilisée lors des cérémonies d’exorcisme de l’église catholique. Elle apparaît pour la première fois au Moyen-Âge, dans un ouvrage découvert dans l’abbaye de Metten, près de Ratisbonne en Bavière. « Vade Retro Satana » fait toujours partie du rituel romain, de nos jours. Selon la tradition chrétienne, ces paroles auraient été prononcées par Jésus, en proie à la tentation, en présence de Saint Pierre.
Issu du latin médiéval « satanicus », l’adjectif « satanesque » est avéré dès le XVe siècle, en français, dans la littérature religieuse pour qualifier « le chief (chef) cornu », avant de prendre sa forme actuelle. De nos jours, cet adjectif est toujours attribué à quelqu’un ou quelque-chose qui tient de Satan, autrement dit qui est diabolique ou démoniaque.
Terminons par deux citations. La première, « le rire est satanique, il est donc profondément humain » est du poète Charles Baudelaire. La seconde, plus ironique, revient au peintre et écrivain Francis Picabia. Selon lui, « Dieu a inventé le concubinage . Satan le mariage ».