La petite histoire des mots
Peur
Georges Pop | Si l’on en croit les services de renseignements occidentaux, les militaires qui entourent le président russe Vladimir Poutine « ont eu peur » de lui dire la vérité sur sa stratégie de guerre défaillante en Ukraine. Si c’est le cas, ils ne sont de loin pas les seuls à éprouver de la crainte dans ce contexte de guerre : il y a tous ceux qui, ici, redoutent l’usage, accidentel ou volontaire, du feu nucléaire, sans même parler des indénombrables civils ukrainiens qui tremblent pour leur vie en se terrant, terrorisés, dans les caves de leur foyer.
Le mot « peur » désigne une émotion éprouvante ressentie en présence d’un danger ou d’une menace. Elle s’accompagne, le plus souvent, de phénomènes physiques oppressants tels que des tremblements, des palpitations, des bouffées de chaleur, une boule dans la gorge, un nœud dans le ventre et un besoin de fuir ou de crier…
Ce terme a subi diverses transformations à travers les âges. Issu du latin « pavor », qui veut dire « effroi » ou « terreur », il est avéré sous sa graphie latine dès le Xe siècle en vieux français. « Pavor », d’où dérive l’italien « paura » (peur), existe d’ailleurs toujours sous sa forme initiale en espagnol et en portugais pour désigner la terreur. Au XIIe siècle, dans notre langue, « pavor » se transforma en « poür », ainsi qu’en « pëor », avant de prendre sa graphie contemporaine, un siècle plus tard. Il convient de ne pas confondre la peur et l’anxiété dont le concept, en psychologie, ne fut définit qu’au XIXe siècle. Jusqu’alors, les peurs irraisonnées étaient considérées comme une expression des passions tristes ou d’une erreur de jugement proche du délire. Les phobies se distinguent, elles aussi, de la peur dans la mesure où elles sont associées à une forme de névrose et expriment une crainte ou une répulsion démesurée qui dépendent d’un ressenti, plutôt que d’une cause rationnelle ou d’une situation objectivement dangereuse. Le mot « phobie » nous vient du grec « phóbos » qui veut dire « peur ». En français, ce terme n’apparut qu’au XVIIIe siècle.
De nos jours, la psychiatrie a pris l’habitude d’associer des mots grecs pour définir les phobies. Quelques exemple : l’agoraphobie touche les personnes qui craignent de fréquenter des lieux publics ; l’hydrophobie, celles et ceux qui évitent le contact de l’eau ; la butyrophobie, les individus qui paniquent à la vue du beurre ; l’érubophobie (ou carminophobie), les individus qui s’affolent à l’idée de péter en public, et la paraskevidékatriaphobie, celles et ceux qui appréhendent les vendredis 13.
Pour en revenir à la peur, l’expression « peur bleue » définit une très grande frayeur. Elle a vu le jour au XIXe siècle dans le milieu médical, certaines terreurs pouvant provoquer une insuffisance d’oxygène dans le sang, ce qui se manifeste par un teint bleuâtre. Une des citations les plus célèbres sur la peur nous vient du philosophe, théologien, juriste et médecin musulman andalou de langue arabe du XIIe siècle, Ibn Rochd de Cordoue, plus connu en Occident sous son nom latinisé d’Averroès. Selon lui, « l’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence » ; celle qui, parfois, peut conduire aux pires exactions. A cette citation, nous ajouterons encore ce proverbe qui nous vient de Côte d’Ivoire : « Celui qui n’a pas peur n’a pas de courage ». Une évidence que l’écrivain et auteur dramatique français Alphonse Daudet explique en ces termes : « Où serait le mérite si le héros n’avais jamais peur ? »