La petite histoire des mots
Neutralité
Georges Pop | L’information a fait, la semaine dernière, le tour des médias internationaux : La Confédération a repris l’ensemble des sanctions européennes à l’encontre de la Russie, après l’invasion de l’Ukraine. Cette décision est parfaitement compatible avec la neutralité suisse, a estimé le Conseil fédéral dont l’avis ne fait pas l’unanimité, même s’il semble partagé par une large majorité de l’opinion publique et des partis politiques.
Formellement, le mot « neutralité » définit l’attitude d’une personne ou d’un Etat, par exemple, qui s’abstiennent de prendre parti et évitent de s’impliquer dans un différend, une querelle ou un conflit.
Etymologiquement, ce terme nous vient du latin « neuter », formé de « ne », adverbe de négation et de « uter » qui veut dite « l’un des deux ». En clair, « Neuter » signifie « ni l’un ni l’autre ». Dès le XIVe siècle, en français, le mot « neutralité » fut utilisé pour définir l’état d’une personne qui ne se prononce pour aucun parti, puis celui d’une puissance qui ne participe pas aux hostilités engagées entre d’autres puissances. Relevons au passage que le mot « neutre » a aussi un sens courant en linguistique, notamment en grammaire. Le genre « neutre », qui existe en allemand ou en anglais, mais pas en français, est celui qui n’est ni féminin ni masculin.
Du point de vue du droit international, la neutralité a été codifiée, en 1907, par les grandes puissances de l’époque, lors de la Convention de La Haye qui a réuni quarante-quatre pays, dont la Suisse. Le texte de cette convention, qui porte sur le « droit à la neutralité », stipule que les belligérants doivent respecter l’intégrité territoriale d’un Etat neutre, ne pas en faire un théâtre d’opérations militaires ou une base arrière. Ce texte précise que, lors d’un conflit, les Etats neutres bénéficient de la liberté de commerce, pour autant que les produits, importés ou exportés, ne constituent pas un danger, ou un désavantage, pour l’un ou l’autre des pays belligérants.
Cette convention n’a pourtant pas empêché l’Allemagne de violer la neutralité belge en 1914 ; ni le Suisse Emil Bührle de vendre des armes aux alliés comme aux Allemands, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Selon certains historiens, sa fortune personnelle serait passée de 8 millions de francs, en 1938, à 162 millions de francs, en 1945. Si certains voient la source de la neutralité suisse dans la défaite de Marignan, en 1515, d’un point de vue historique contemporain, elle découle, après les guerres napoléoniennes, d’une décision des puissances européennes qui, du 8 septembre 1814 au 9 juin 1815, redessinèrent la carte du Vieux Continent au Congrès de Vienne ; décision confirmée par le traité de Paris du 20 novembre 1815. A cet égard, cette neutralité, véritable vache sacrée de la politique étrangère helvétique, aurait bien davantage été imposée par les Européens que librement choisie par les Suisses qui, en qualité de simples observateurs, étaient exclus des négociations.
Terminons par cette belle citation de l’écrivain québécois d’origine suisse Pierre Billon, tirée de son roman l’Ogre de Barbarie, chronique d’un village suisse proche de la France occupée : « La neutralité c’est une chose qu’on trouve dans les discours , pas dans le cœur des gens ».