La petite histoire des mots
Cacophonie
Georges Pop | Le président américain Donald Trump et son rival, le démocrate Joe Biden, se sont affrontés jeudi dernier à Nashville, capitale de l’Etat du Tennessee, lors d’un ultime débat, avant les élections présidentielles américaines. Téléspectateurs et journalistes ont relevé, à l’issue de cet ultime face à face télévisé, que la tonalité des échanges fut plus respectueuse que lors du premier débat, dominé par une exaspérante « cacophonie » ; autrement dit par un chevauchement ininterrompu et discordant d’interventions intempestives. En rhétorique, « cacophonie » désigne un ensemble de paroles confuses et entremêlées, pénibles à entendre. En musique, ce même mot définit des voix ou des instruments qui chantent ou jouent sans être accordés, ce qui est tout aussi douloureux pour celles et ceux qui les entendent. Le terme est avéré dans la littérature française dès le XVIe siècle. Il associe les mots grecs « kakos » qui veut dire « mauvais » et « phoné » qui signifie « voix », pour désigner une horripilante dissonance phonique, comme celle qui a caractérisé le premier débat entre les deux candidats à la Maison-Blanche. Dans le contexte de la course à la présidence des Etats-Unis, il est tentant d’associer « cacophonie » au terme « cacocratie » qui est d’un usage rarissime mais qui n’en existe pas moins dans la langue française. Le terme « cacocratie » associe « kakos » à un autre mot grec : « kratos » qui signifie « pouvoir » ou « autorité ». La « cacocratie » définit ainsi un mauvais gouvernement, composé d’individus médiocres, incompétents et imbus d’eux-mêmes. Lorsque ce gouvernement est encore plus lamentable, on monte encore d’un cran pour parler de « kakistocratie ». Toujours en grec, « kakistos » est le superlatif de « kakos » et veut dire « le pire ». Le terme « kakistocratie » (en anglais « kakistocracy ») a d’ailleurs été utilisé aux Etats-Unis par plusieurs éditorialistes pour qualifier le gouvernement de Donald Trump, au début de son mandat présidentiel, en 2017; ce qui a contribué à envenimer, davantage encore, les relations entre le milliardaire et la presse qu’il accuse systématiquement de mensonges et de complots. Philosophiquement, la kakistocracie s’oppose à l’aristocratie, le mot « aristos » voulant dire, toujours en grec, « le meilleur ». Dans la réalité historique, cependant, une aristocratie est un régime politique dans lequel le pouvoir n’est pas détenu par « les meilleurs » mais par une prétendue élite autoproclamée. Ce fut le cas de la noblesse, jadis, dans la plupart des pays européens. En ce qui nous concerne, nous lui préfèrerons donc la « démocratie », autrement dit « le pouvoir par le peuple », « démos » signifiant – vous l’aurez compris – « le peuple ». Inévitablement, compte tenu de la diversité des idées qui s’y affrontent, parfois vivement, la démocratie est une source de débats, de désaccords, voire de disputes, et donc de vertueuses ou de venimeuses… cacophonies !