La carte postale, ce fragment de mémoire
L’âge d’or des cartes postales a été remplacé par celui des réseaux sociaux et des messageries instantanées. Pourtant, ces petits bouts d’histoires rectangulaires continuent d’enthousiasmer le marché des collectionneurs. Preuve en est les différentes foires qui continuent de s’organiser, comme celle prévue à la mi-octobre à Evian-les-Bains.
Diane Zinsel | La carte postale a perdu de son utilité dès la démocratisation du téléphone fixe », explique Christian Bobst, président de la société romande de cartophilie. Au fil du temps, elle s’est réduite à un format envoyé depuis l’étranger, avant que le téléphone portable grappille ce territoire-là aussi. Parallèlement, le choix s’est lui aussi amenuisé : les éditeurs ont petit à petit arrêté d’investir dans des images originales ; la carte postale s’est standardisée et aujourd’hui certaines ont le temps de gondoler au soleil dans le seul tourniquet du coin, commente Christian Bobst. Il est loin le temps où sa femme et lui envoyaient des nouvelles par paquet à chaque nouveau voyage : « il faut savoir vivre avec son temps », glisse-t-il.
Si aujourd’hui le président de la société romande de cartophilie n’envoie plus de cartes postales, il aime toujours les collectionner, comme autant de pièces d’un puzzle qui ferait remonter le temps. A ses côtés, dans une boîte en carton, on découvre un marché aux artichauts, le triage du poisson, ou encore des cartes éditées durant la Grande Guerre sur lesquelles la France se moque de l’Allemagne. « Elles montrent simplement la vie d’autrefois », ponctue Christian Bobst. Ces cartes font partie du lot que la société souhaite présenter lors d’une Bourse prévue à Evian-les-Bains les 18 et 19 octobre prochains.
« Les collectionneurs achètent l’émotion de ces images qui racontent des moments qui n’existent plus et qu’on a oubliés », détaille le spécialiste qui affectionne tout particulièrement les anciennes cartes éditées entre 1893 et 1930, ou les semi-modernes, conçues jusque dans les années 1960. Il en comptabilise plusieurs milliers, dont notamment une collection de tous les villages fribourgeois, mais aussi de toutes les Fêtes des vignerons, ainsi qu’une très belle série de villages vaudois, datant du début du XXe siècle. « Regardez, ce sont des choses que l’on ne verra plus jamais », dit-il en pointant un attelage de chiens transportant des bouteilles de lait ou la photo de groupe de l’Union d’une fanfare. Une carte très prisée peut se vendre jusqu’à 3000 francs, mais « c’est un chiffre record », poursuit-il.
Les cartes de Blatten ont la cote
« La valeur d’une carte postale dépend de plusieurs éléments, tels que son tirage et ce qu’elle représente. Si elle montre le château de Chillon ou le Cervin, elle a moins d’intérêt que si elle présente une scène de vie d’une ville ou d’un village qui témoigne d’une époque révolue », explique l’expert. Et sa qualité alors ? « Même une carte mal cadrée ou floue peut avoir énormément de valeur en raison de sa rareté », ajoute-t-il.
Les cartes postales en couleur, dites modernes, éditées dès 1960, commencent par exemple tout juste à s’échanger, et à des prix très bas. La vie qui y est dépeinte est encore trop similaire à la nôtre, trop fraîche dans notre mémoire, estime le spécialiste. Sauf, si le lieu n’existe plus. La recherche de cartes postales représentant Blatten s’est intensifiée depuis l’ensevelissement du village valaisan par l’effondrement du Petit Nesthorn et du glacier du Birch en mai 2025. « Nous enregistrons plus de demandes et de ventes de ces images, quelle que soit l’époque, et nous nous attendons à ce que cette tendance se renforce lors de notre prochaine bourse aux cartes postales qui aura lieu le 31 mai prochain à Cossonay », souligne Christian Bobst.
L’intérêt des collectionneurs évoluant avec les aléas de la vie, peut-on imaginer que les collectionneurs s’intéressent un jour, dans une centaine d’années peut-être, aux cartes postales personnalisées créées sur une application comme PostCard Creator de la Poste ? En théorie, oui, répond Christian Bobst. Mais cela dépendra de ce qui a été photographié, si l’image raconte quelque chose de notre époque, si elle suscite une émotion, si elle porte une valeur historique et surtout si le lieu exact est mentionné au dos de la carte. Et le président de la Société romande de cartophilie de conclure : « un gros plan de soi-même n’aura très certainement aucun intérêt ! »
Environ 3,4 millions d’envois via PostCard Creator
Lancée en 2014, l’application PostCard Creator donne la possibilité de créer et d’envoyer des cartes postales personnalisées en quelques clics directement depuis un smartphone. Elle permet, selon la Poste Suisse, « de relier le monde physique avec le numérique ». En utilisant la version payante de l’application, les utilisatrices et utilisateurs peuvent envoyer des missives à volonté, moyennant 2.20 francs la carte. Initialement et jusqu’à fin 2023, il était aussi possible d’envoyer une carte postale gratuite par jour, mais depuis, pour des raisons notamment budgétaires, La Poste a réduit cette gratuité à une carte par semaine. Ce qui semble avoir eu un impact sur le nombre total d’envois de cartes postales, « même si nous ne publions pas les chiffres détaillés par catégorie (gratuit/payant) », précise-t-elle. A titre de comparaison, l’envoi de cartes postales via cette application est passé de 870’000 cartes en 2014 lors de son lancement à quelques 7,2 millions en 2022, en passant par un record de 9,7 millions durant la pandémie. Aujourd’hui, environ 3,4 millions de cartes sont envoyées par année via PostCard Creator. La Poste se réjouit de ce « franc succès. Ces cartes sont très prisées, car elles revêtent un aspect personnel et le destinataire peut les conserver longtemps en les accrochant au mur par exemple, contrairement aux messages numériques ».