La « maréchaussée » Burki du château d’Oron
Episode 6
Le château abrite les prisonniers et truculente évasion
Propos recueillis par Gilberte Colliard | Mais que devient le château d’Oron ? Décrété bien national, il est bien encombrant. Le 1er mai 1799, un concierge est nommé. Il n’est pas payé. On ne lui offre que la jouissance d’un logement et d’un petit jardin. Le 1er juin 1799, le château est transformé en prison militaire qui abrite les prisonniers faits par les troupes françaises lors de la libération du Pays de Vaud, en attendant d’être jugés. Certains de ces prisonniers s’évadent pour rejoindre leur Oberland natal. Les autres sont bientôt graciés.
En août 1799, les derniers prisonniers militaires sont partis et le château abrite désormais la prison civile du district. On charge le concierge de nourrir les prisonniers pour 6 batz par jour et par prisonnier, payés par la République helvétique, mais récupérés lors des jugements, sur le dos des condamnés. La surveillance incombe à des gardiens militaires occasionnels. Ici se déroule un incident qui est la cause indirecte des évènements ultérieurs. François n’y joue qu’un rôle de maréchaussée conduisant le prisonnier du tribunal à la prison et vice-versa, transmettant le courrier entre le président du
tribunal et le sous-préfet et les autorités communales.
Le 29 septembre 1799, comme tous les dimanches, il y a exercice militaire sur la place après le culte. Après l’exercice, une bande de jeunes partent danser et boire à Servion. Au retour, 4 d’entre eux s’arrêtent à la pinte d’Essertes et se mettent en écot pour continuer à boire. Il fait un temps exécrable. L’officier municipal de Servion qui rentre chez lui, après une course privée à Oron où il a encaissé de l’argent, s’arrête à la pinte d’Essertes pour s’abriter un instant. La nuit tombe. Invité à leur table, il s’installe auprès des buveurs, mais sans participer à leur écot. Une discussion s’engage avec l’un des clients que l’agent connaît et qui est allé récemment en Savoie où il a rencontré un médecin, connaissance commune qui l’a chargé de salutations. Une demi-heure passée, l’officier municipal paie sa consommation et s’en va. La nuit est maintenant tombée, il est 19h. L’un des buveurs, Jean-Abram Destraz, 24 ans, tailleur à Essertes sort peu après, court et rattrape l’officier et engage la conversation en déguisant sa voix. Il invente une fable, se prétendant Savoyard, envoyé à Mézières par un médecin Savoyard, portant des urines à un médecin de Mézières.
Soudain, il saisit l’officier par le bras, sort un pistolet et demande: la bourse ou la vie. Il le dépouille de 24 écus petits (Fr. 48.-). Mais l’officier a reconnu l’accent et la démarche de son agresseur et dépose plainte. La commission criminelle du district s’assemble d’urgence le 2 octobre, après avoir assigné Destraz à comparaître. Ce dernier nie tout et prétend qu’après être sorti de la pinte, il est rentré directement à la maison où sa femme l’attendait pour souper, ainsi qu’un client dont il devait prendre les mesures pour un habit. Il est retourné à la pinte jusqu’à minuit. La confrontation entre l’accusateur et l’accusé ne donne rien. Le Tribunal relève des contradictions dans les dires de l’accusé et décide de le faire conduire aux arrêts au Château et d’entendre les témoins. Ceux-ci, compagnons de beuverie sont entendus. Aucun ne l’accable, mais tous cherchent à le blanchir. Le 5 octobre 1799, dans la nuit, une trentaine de personnes d’Essertes, déguisées et masquées, pénètrent dans le château par une porte dérobée qu’un bailli avait fait percer dans le mur nord-est du château. Leur but est de délivrer le prisonnier. Mais il y a un mouchard et le sous-préfet a eu vent de l’affaire. Il a renforcé la garde et fait placer 6 fusiliers armés comme gardien pour la nuit. Les assaillants enfoncent 5 portes pour parvenir à la cour sur laquelle donne la porte de la prison. Au bruit, les soldats arrivent et menacent de faire feu. Devant cette résistance imprévue, l’attroupement se retire. Le 7 octobre, la commission criminelle presse Destraz qui finit par craquer et s’effondre en avouant tout et demandant pardon. L’argent volé, caché par la femme de l’accusé à l’écurie sous une crèche est récupéré. La commission veut faire comparaître le prisonnier, mais elle apprend qu’il vient de s’évader ! Le sous-préfet, par mesure d’économie a décidé de faire murer la porte dérobée, de réduire la garde de nuit et de ne laisser qu’un garde de jour. Les gardes de nuit qui étaient trois, sont tirés au sort pour désigner celui qui resterait ce jour. Ce matin-là, le maçon a commencé son travail. Il charrie des pierres entre la cour et la porte dérobée; la grande porte est donc ouverte. Elle l’est également parce qu’on cuit au four. Vers 10 heures, le maçon qui désire faire réaffûter ses outils entraîne avec lui le garde, qui n’a pas déjeuné. Ils descendent à Oron et s’arrêtent à l’auberge où ils boivent deux bouteilles de vin. Le concierge, qui n’a jamais été désigné comme géôlier, aperçoit la porte ouverte et prétendra que des pierres empêchent de la refermer. Ayant besoin de beurre et de sel, il part également pour Oron dans le but, dira-t-il, de retrouver le garde et de lui reprocher son abandon de poste. Ainsi, la grande porte est ouverte et il ne reste au château que la femme du concierge. Destraz a eu connaissance que la voie était libre, peut-être par quelqu’un qui a été vu lui parler à travers le guichet de sa porte de prison. Il arrache une planche de son lit, enfonce la porte et s’égare dans la nature. On le signale à Estavayer. Un frère qui a le même signalement que lui se fait faire un passeport et le sous-préfet se rend compte un peu tard que c’est pour le faire parvenir à Destraz qui est maintenant à Vaumarcus où il attend de pouvoir entrer en pays de Neuchâtel. Le 3 décembre 1799, le tribunal de canton lui inflige par contumace une peine de 18 années de fers pour attaque à main armée sur le grand chemin. La sentence doit être affichée pendant 6 heures sur la place publique d’Oron. Le 14 octobre 1799, le sous-préfet persuadé qu’il y a eu connivence a demandé le remplacement du concierge par un homme de confiance qui puisse en même temps être gardien-geôlier, ce qui économisera les deniers de la République. François Burki, l’homme à tout faire, est là sous la main. Il remplit les conditions requises et on le désigne par intérim à ce poste qu’il occupe dès le 20 octobre 1799. La chambre administrative ratifie ce choix et le nomme officiellement le 1er mai 1800.