Jorat-Mézières – Into the Corn : quand la musique pousse au milieu des épis
Il y a des idées qu’on lance à la blague… et qui, contre toute attente, finissent par pousser comme du maïs en été. Il y a neuf ans, dans leur colocation à Mézières, Nicolas et Tanguy ont eu cette intuition un peu dingue : « Et si on montait un festival… dans un champ de maïs ? » Ce rêve champêtre et électrique, pensé sur un canapé, allait bientôt rassembler plus de 2000 festivaliers sur les deux jours que compte l’événement. Pourtant, l’histoire ne commence pas directement dans les épis. La toute première édition s’installe sur le terrain de foot du village, avec une scène amovible. « On l’a achetée en misant sur le fait de la louer à d’autres événements pour la financer », se souvient Nicolas. Bonne pioche : cette scène est toujours le cœur battant du festival.
La deuxième année, les deux compères s’émancipent, ils veulent voir différemment… voir plus loin. Direction les pyramides de Vidy, à Lausanne, avec la scène tirée par un tracteur de Mézières à la capitale. L’idée est belle, mais la météo s’invite en trouble-fête. Pluie, vent, déficit : « Clairement notre pire édition », reconnaît Nicolas. L’expérience forge pourtant leur conviction : Into the Corn ne quittera plus son terroir.
Retour au berceau
C’est alors que germe la véritable identité du festival. Un champ de maïs familial, propriété du père de Nicolas, devient le décor. « C’est un cadre unique, rare même à l’échelle mondiale », explique-t-il. Rareté oblige, l’emplacement précis change chaque année, au gré de la rotation des cultures. Les organisateurs attendent toujours quatre semaines avant l’ouverture pour révéler le champ choisi. Une manière de préserver la surprise et de respecter la nature.
Ici, deux scènes se font face de part et d’autre de la « place de fête », ce point de rassemblement cher aux jeunesses campagnardes. C’est d’ailleurs au sein de la jeunesse de Mézières que Nicolas a fait ses armes d’organisateur. Pour 2025, les visiteurs, qu’ils viennent de Lausanne ou du coin, suivent un petit chemin d’une centaine de mètres entre forêt et rivière avant de déboucher sur la musique et les lumières. « Réunir la culture urbaine et celle des champs, c’est un de nos objectifs », détaille Nicolas.
Fonctionnement horizontal
Au départ, l’organisation repose sur une poignée d’amis. L’association, imaginée sous le nom un peu cryptique de « Delta Jorat Beta » grossit rapidement, mais des tensions apparaissent. « On ne savait plus qui faisait quoi », se souvient Nicolas. La solution ? C’est Tanguy qui l’amène après avoir suivi une formation sur le fonctionnement horizontal dans les entreprises. Depuis la cinquième édition, ils ont abandonné la structure hiérarchique classique. Plus de président ni de comité vertical : tout fonctionne en cercles de responsabilités. Résultat, l’équipe compte aujourd’hui une soixantaine de membres, avec un noyau de 17 personnes aux manettes. « C’est notre comité de valeur ».Chaque été, deux semaines avant le jour J, tout le monde se retrousse les manches pour bâtir le festival de toutes pièces. 4000 m² de fête, 2000 spectateurs attendus, et toujours la même envie de rester à taille humaine. « On préfère garder notre esprit familial et accessible plutôt que de grossir à tout prix », insiste l’organisateur.
Côté musique, Into the Corn mise désormais sur une programmation 100 % helvétique. Ici, il n’y a pas de style de prédilection, mais plutôt un amour pour la musique qui véhicules de l’émotion. Les artistes suisses y trouvent une vitrine rare et un public curieux. « On a une qualité musicale incroyable ici, il faut la mettre en avant », souligne Nicolas. Dans les premières années, quelques groupes venus de Belgique, de France et même des Etats-Unis ont foulé la scène, mais depuis l’an dernier, la priorité est donnée aux talents locaux.
Un festival qui résonne au-delà des notes
Au-delà de la fête, le festival porte aussi des valeurs. Si une partie des bénéfices est réinvestie pour assurer sa pérennité, le reste est intégralement reversé à des projets humanitaires. Et puis, il y a cette philosophie simple : offrir un moment hors du temps, dans un décor qui n’existe que quelques semaines par an, avant que les épis ne laissent place à la moissonneuse.
Quand la dernière note retentit et que le champ retrouve son silence, les membres de l’association pensent déjà à l’année suivante. Culture du maïs, autorisations, protection des sols, idées de programmation… Into the Corn est un projet vivant, qui pousse au rythme des saisons. Et tant que les épis continueront de se balancer dans le vent, la musique, elle, continuera de résonner entre leurs rangs.