Jorat – La perte des repères saisonniers péjore les massifs forestiers et les travaux des entreprises
Etés secs prolongés, hivers peu froids et pluvieux, nous tendons de plus en plus à passer de 4 saisons bien marquées à une saison chaude et une saison des pluies.
Cette évolution de la situation met la forêt sous tension, bouleverse l’organisation des travaux dans les massifs et complique le travail des gardes forestiers.
Travailler dans l’urgence plus que dans l’anticipation
Si la pluie de ces derniers mois a été intéressante par rapport à la nature, permettant aux nappes phréatiques de retrouver un bon niveau et à la forêt de faire des réserves, ce répit bien venu ne suffira pas si nous devons à nouveau vivre un été semblable à celui de 2023. L’eau accumulée sera utilisée lors de la reprise printanière de la végétation et les ravageurs pourront reprendre de plus belles leurs attaques. Sur le triage du Jorat, le bostryche a contaminé plus de 1000m3 de résineux, l’été dernier. Mi-janvier, 600 m3, attaqués en octobre juste avant les pluies, ont été découverts lorsque les écorces ont éclaté et sont tombées après les quelques jours de gel. Le problème est particulièrement sévère dans les massifs de la zone allant de Carrouge à la Haute Broye.
Retards de coupes et débardages difficiles
Les travaux forestiers se font entre le 1er septembre et le 15 avril. Or cette longue série pluvieuse et tempérée complique sérieusement les coupes et le débardage qui ne peuvent plus profiter du gel du sol, permettant d’éviter les dégâts en forêts et sur les terrains agricoles. L’utilisation des grosses machines devient problématique. Il existe bien la solution du câblage à plat mais son coût est 3x supérieur à celui du débardage normal. « Pour être rentable, il faudrait extraire 1 m3 de bois par mètre linéaire de ligne de câble, nous n’avons jamais des coupes de ce volume. En 2023 déjà, nous avons terminé en mai des chantiers qu’il n’était pas possible de débarder au cours des trois premiers mois de l’année. Des coupes restent à terre depuis des mois, avec un risque de perte de qualité surtout si un coup de chaleur arrive en mars. Des chantiers prévus ne sont tout simplement pas réalisés. L’été qui a joué les prolongations n’a pas permis de coupe en septembre car la sève n’était pas descendue. Aujourd’hui, la majorité des travaux font suite à des évènements. Il n’est plus possible d’anticiper. Pendant 20 ans j’avais beaucoup de certitudes, aujourd’hui que j’attaque ma 30e année, je n’en ai plus » souligne Marc Rod, garde forestier du triage du Jorat.
Dégâts sur les routes et les sentiers pédestres
Les pluies soutenues ont occasionné de nombreux dégâts : glissements de terrain le long des cours d’eau, embâcles dangereuses sur la rivière le long de la route de Berne et dans la Bressonne également sous la route de Berne, lave torrentielle entre Chesalles s/Moudon et Moudon, avec 5cm de boue sur la route, chemins forestiers destinés au public ravinés. « Plusieurs sentiers piétonniers devenus dangereux le long de la Broye ont dû être fermés à cause du dépérissement des frênes. En-dessus de Serix, le long de la Mionne, des glissements de terrain ont fendu le sentier pédestre, les poutres de la passerelle devenues trop vieilles se sont fissurées rendant obligatoire sa fermeture jusqu’à son remplacement. Une autre a été arrachée à Vucherens par la force des eaux. Nous espérons pouvoir intervenir au plus vite » mentionne Didier Gétaz, garde forestier de la Haute Broye qui relève qu’en plus des conditions climatiques qui compliquent le travail, les contraintes administratives sont de plus en plus lourdes.
Qu’en est-il au niveau des entreprises forestières ?
Toute la chaîne est impactée par cette météo capricieuse qui a fortement pesé sur le moral du personnel des entreprises les derniers mois de 2023, comme l’explique Christian Aeschlimann, entrepreneur forestier : « certains chantiers sont en attente. Le personnel amortit ses heures supplémentaires en hiver plutôt qu’en été habituellement. Rapidement mouillés sous le vent et les grosses pluies, nos forestiers ont réussi à gérer quelques heures de travail sur les chantiers adaptés ou pour l’entretien des chemins. Nous espérons rattraper le retard ce printemps. Il faudra certainement en arriver à faire des exploitations plus tôt dans la saison pour profiter des périodes sèches ». Mêmes constatations de la part de Daniel Ruch, également entrepreneur forestier et conseiller national : « le manque de gel est un problème pour l’exploitation des bois et pour faire périr les ravageurs. Depuis novembre, nous n’avons quasiment pas pu débarder de bois. Nous avons remercié et félicité nos employés pour avoir travaillé dans ces mauvaises conditions, tous les jours en forêt. Nous devons revoir la révision de la Loi sur les forêts et permettre de débarder en plaine plus tard dans la saison. Peu de cantons suisses, comme Vaud, interdisent les coupes en été. Ouvrir cette possibilité ne concernerait pas le bois d’œuvre qui ne doit pas être coupé en pleine sève sous peine de devenir noir, mais serait tout à fait envisageable pour le bois énergie et d’industrie. Cela permettrait d’échelonner le travail sur l’année et allégerait le problème de manque de personnel qui se fait de plus en plus sentir. »
« Toutes ces thématiques seront abordées lors de la Fête de la forêt, édition 2024, qui se déroulera le 1er juin à Moudon » invite d’ores et déjà Mathurin Pidoux, garde forestier de Moudon .