Exposition – L’occasion de découvrir la collection du Musée Langmatt à Baden
Eblouissants Impressionnistes à L’Hermitage, à Lausanne, jusqu’au 3 novembre
On doit ce remarquable ensemble de peintures aux achats d’un couple de passionnés de peinture, Jenny et Sidney Brown, richissimes industriels (il a fondé Brown Boveri & Cie), qui ont eu la générosité de le léguer, ainsi que leur maison de maître, à la ville de Baden. Il est à noter qu’ils n’ont nullement fait des « investissements spéculatifs », car à leur époque, entre 1908 et 1919, les artistes que l’on découvrira étaient considérés comme des peintres d’avant-garde.
Le parcours du visiteur, chronologique, commence par une série de prédécesseurs de l’Impressionnisme. Parmi eux, Eugène Boudin et ses petits tableaux de vues marines de Normandie. Elles représentent tout autant des familles de la haute bourgeoisie parisienne à la plage, sous leurs éventails, que des femmes de pêcheurs assises sur la grève, dans l’attente de leurs maris partis en mer. Boudin lui-même n’a pas oublié qu’il était d’origine populaire. Puis on découvrira celui qui est volontiers considéré comme « le plus impressionniste des peintres impressionnistes », Camille Pissarro, qui s’est essentiellement voué à des paysages à la touche frémissante, mais aussi à ses touchants portraits de son épouse Julie, concentrée sur ses travaux ménagers. On admirera particulièrement son si vivant Boulevard.Montparnasse, printemps, qui illustre à la fois, en plongée, l’active vie parisienne, avec ses fiacres, et la vibration du feuillage nouveau.
Quant au genre de la nature morte, il était relativement peu prisé par le groupe des Impressionnistes qui s’est constitué lors de sa première exposition en 1874, il y a donc juste cent cinquante ans. Un cas à part, celui de Henri Fantin-Latour, très apprécié pour ses bouquets de fleurs par le public anglais.
Autre artiste inclassable, Odilon Redon dont l’œuvre, tout en mettant en valeur la couleur, a toujours un contenu onirique et symboliste, comme dans Barques.Souvenir de Venise. Enumérer ici la liste des très nombreux peintres qui ont adhéré ou étaient proches de l’Impressionnisme et présents dans cette très riche exposition serait fastidieux…
Relevons que les choix des époux Jenny et Sidney Brown ont été plus loin que les limites de cette « école ». Ils se sont beaucoup intéressés aussi à Gauguin, Vallotton et Cézanne, dont les travaux très variés (natures mortes et paysages anticipant le Cubisme, bel ensemble de Baigneuses) sont bien représentés.
Mais au centre de ce fabuleux florilège, il y a incontestablement Auguste Renoir, le peintre du bonheur de vivre, de la femme et du mystère de l’enfance, dont on peut suivre toute l’évolution. On n’oublie pas qu’il fit d’abord un apprentissage de peintre sur porcelaine, et notamment celles inspirées par le XVIIIe siècle, ce qui apparaît bien dans son goût particulier pour le rouge et le rose. Son œuvre est d’une immense variété et ne lasse jamais : scènes de la bonne société parisienne, avec La Loge, bords de scène dans La Barque, où une femme dont le compagnon, sans doute revêtu d’un canotier, n’apparaît pas (s’il est présent ?), et qui est noyée dans un flot de feuilles d’arbres penchées sur l’eau. Le goût de l’artiste pour le XVIIIe siècle, mais aussi le choc que fut pour lui la révélation de Raphael, apparaissent dans sa période « ingresque », avec une ligne plus claire, un dessin plus réaliste, où personnellement je vois une certaine régression vers le classicisme. Elle précède heureusement sa dernière période de création, dite « nacrée ». Celle-ci est tout entière vouée au thème de l’enfance, mais surtout à la Femme, aux chairs roses et opulentes, chargées de sensualité, qui gardent cependant quelque chose d’innocent dans leur nudité. La douceur des pétales de fleurs roses peut être mise en corrélation avec l’exquis attrait de la carnation féminine.
A travers notre déambulation dans cette exceptionnelle exposition, nous redécouvrons donc toutes les facettes de l’Impressionnisme et aussi ses successeurs directs. Gageons qu’elle attirera une foule de visiteuses et visiteurs, qui en ressortiront gorgés de couleurs et de joie rayonnante, au milieu d’une époque qui n’invite pas particulièrement à celle-ci. Mais n’est-ce pas aussi l’un des buts de l’art que de nous réconcilier avec le monde ?
« Chefs-d’œuvre du musée de Langmatt », Lausanne
Fondation de L’Hermitage, jusqu’au 3 novembre